Les disparus d’Arkantras (De rouage et de sang, #1) d’A.D. Martel

  • Titre : Les disparus d’Arkantras (De rouage et de sang, #1)
  • Autrice : A.D. Martel
  • Éditeur : Scrinéo
  • Catégories : jeunesse, steampunk

À peine arrivé à la maison, le premier tome de la série De rouage et de sang, n’a pas eu le temps de rejoindre ma PAL. Ayant adoré Les larmes de Saël, je n’ai pu résister à M. Gratouille, non je rigole (enfin presque).

Dans les quartiers pauvres d’Arkantras, la rumeur court. Un monstre se cacherait dans les profondeurs de la ville et se repaîtrait de chair fraiche. Rowena n’y croit pas trop, jusqu’au jour où son meilleur client, Œil-de-Pirate, disparaît de son antre où il se calfeutrait. En parallèle, le journaliste paumé Eugène Bassompière est mis sur le coup de ses étranges disparitions. Ses deux âmes que tout oppose vont découvrir la vérité sanglante et terrifiante.

Les engrenages des Disparus d’Arkantras se meuvent avec lenteur. L’autrice prend son temps pour poser les fondations de l’histoire et la présentation des nombreux personnages avant d’enclencher la vitesse supérieure avec des révélations prévisibles pour les lecteurs aguerris (sauf une que je n’ai pas du tout vu venir). Je rappelle qu’il s’agit d’un livre jeunesse et que je ne suis pas le public cible. Malgré le rythme en deux temps, je ne me suis pas ennuyée lors de la première moitié du roman, car l’écrivaine a la manière de croquer, puis de dessiner en profondeur les traits de ses personnages et de son univers.

Basée sur les villes européennes du XIXe siècle, Arkantras se divise en deux strates sociales : les nantis et les pauvres. Les premiers vivent dans des maisons luxueuses et des espaces pures, tandis que les démunis survivent au milieu des vapeurs toxiques des usines et des bâtisses insalubres. Leurs rues sont surveillées par les policiers le jour et la nuit par des sentinelles qui punissent ceux qui osent braver le couvre-feu.

Née au cœur des ordures, Rowena possède plus d’un tour de manivelle dans son sac. Débrouillarde et courageuse, cette orpheline a appris à voler dès son plus jeune âge pour le compte de son horrible famille d’accueil. Délivrée de leur joug, elle se dirige vers un marché plus lucratif grâce à sa passion pour la mécanique et aux connaissances qu’elle a acquises dans le domaine. Accompagnée de son fidèle M. Gratouille, elle se fait appeler Capitaine par les enfants. J’adore son répondant mesuré. Sa fierté ne l’aveugle pas, ce qui en fait une marchande hors pair pour ses 13 ans, ou du moins, assez pour rester en vie et acheter de quoi manger. Malgré sa force, elle demeure une enfant dont les histoires de monstre ébranlent la confiance et la réalité.

M. Gratouille est (vous l’aurez deviné) un matou particulier. Malmené dès ses premiers jours sur terre par les déchets chimiques des usines, il possède une patte mécanique et de super lunettes d’aviateurs qui pallient ses problèmes de vue. Il entretient un lien singulier et puissant avec Rowena. Ils se comprennent, se soutiennent même si le chat se conduit parfois de façon étrange.

À deux, ils vont se lancer à la recherche d’Œil-de-Pirate, ce vieux bougon d’inventeur qui bricole des automates aussi mignons que dangereux. En dépit de son caractère aigre, il a un cœur en or, surtout envers les animaux qu’il répare.

Leur chemin va croiser à plusieurs reprises celui d’Eugène. Répudié par la haute société après la parution d’un article dénonciateur, ce journaliste démotivé se voit obliger par L’Oratoire des secrets d’enquêter sur les disparitions dans les bas-quartiers. Peu téméraire, mais pétri d’idéaux de justice, il s’investit progressivement dans cette affaire auquel il n’est pas au bout de ses surprises. D’abord dédaigneux des démunis, ses préjugés vont tomber un à un. Il se rend compte que leur humanité s’avère bien plus pure sous la crasse que les nantis polis à coup de savon parfumé.

Au détour des ruelles et des avenues, A.D. Martel tirent le portrait d’autres figures qui ont un impact plus ou moins faible sur le récit. Je ne vais ni les décrire ni les lister. Sachez juste qu’ils sont tous palpables et utiles au déroulement. Parmi ceux dont j’ai dressé le profil, j’apprécie particulièrement qu’elle se tourne vers des personnages vraisemblables, prudents. Si Eugène revêt le masque du journaliste avide de vérités (ou du moins avant le scandale), il n’endosse pas la cape du superhéros invincible et téméraire. Son vécu l’ayant profondément marqué, il doit se réapproprier sa ligne de conduite, son leitmotiv et son courage pour affronter ses démons et redevenir lui-même.

Rowena, quant à elle, rappelle les personnages des écrivains du XIXe siècle : futés et débrouillards des ruelles pauvres. La romancière s’en détache en rajoutant une couche féministe vu qu’elle brise le genre des métiers. Toutefois, notre adolescente subit les remarques de certains hommes en dépit de son talent. Comme Eugène, Rowena ne se jette pas la tête la première à la poursuite du monstre. Elle tremble, hésite et doit attiser les flammes de sa bravoure pour avancer.

Les disparus d’Arkantras dépeint ce monde inspiré du XIXe siècle à travers les filtres contemporains : les effets de la pollution, la dénonciation du gaspillage, la surconsommation émaillent le parcours du lecteur. Le thème le plus important aborde les limites que certains osent franchir pour des raisons terribles et pourtant encore si courantes. Ces raisons qu’on nous balance pour justifier la restriction des libertés et la manipulation.

En bref, le premier tome de Rouage et de Sang s’est révélé être une lecture divertissante durant la première moitié du bouquin, puis addictive dans la seconde. Les rebondissements s’y enchainent pour nous dévoiler l’horreur humaine. Le tout, porté par des personnages nuancés et réalistes, est saupoudré de problématiques de notre ère.  

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