Nouvelles Ères (anthologie)

  • Titre : Nouvelles Ères
  • Auteurs : Aimé Leclercq, Catherine Barcelonne, Corentin Macé, Fabrice Schurmans, Geoffrey Claustriaux, Gillian Brousse, L.A. Braun, Margot Turbil, Meggy Gosselin, Sylwen Norden, Victor Fleury, Wilfried Renaut
  • Éditeur : Livr’S Editions
  • Catégories : science-fiction, nouvelles

Nouvelles Ères est la dernière anthologie publiée par la maison belge Livr’S Editions que je remercie chaleureusement pour l’envoi de ce service presse, à la couverture magnifique, via la plateforme SimPlement.pro.

Le fil conducteur de ce recueil induit un monde en rupture avec le nôtre. Souvent après un effondrement, un changement brusque voire une apocalypse ou une situation qui fait terriblement penser à 2020 : une pandémie mortelle. Bref, des événements donnant envie de se confiner dans un bunker et d’en sortir seulement lorsque la tempête s’est calmée.

Si le genre principal est la science-fiction, il nous livre des sous-genres variés allant des récits classiques sur les progrès de la science, les androïdes, la dystopie et l’uchronie en les mélangeant, pour certains, avec des enquêtes policières ou des ambiances rappelant les légendes populaires.

Catherine Barcelone avec 389 s’inspire même du conte de Pinocchio en mettant en scène le scientifique qui crée avec le désir d’être père, grâce à une fable philosophique où l’action disparait au profit du questionnement : qu’est-ce qui différencie un être humain d’une intelligence artificielle? Meggy Gosselin quant à elle, s’amuse à inverser les codes en conférant à ses androïdes le pouvoir de façonner des êtres biologiques dans SOFIA. Ce qui me rappelle un peu l’énigme de l’œuf et de la poule.

Cette anthologie n’est pas seulement un foisonnement de styles s’associant à la science-fiction. Elle brasse de nombreuses thématiques liées purement au genre et à des sujets sociétaux actuels. Ainsi nous avons les plus fréquentes telles l’égo de l’homme se prenant pour Dieu avec sa science et ses expérimentations biologiques produisant des mutations, l’écologie et l’empreinte négative de l’humain sur l’écosystème et son aptitude à répéter sans cesse les mêmes erreurs.

Deux nouvelles portent sur des interrogations plus marginales comme la question des émotions et de leur complexité qui rend difficile leur mimétisme. Comment faire en sorte qu’une IA comprenne l’humain, ressente des émotions sans que celle-ci n’imite les comportements fâcheux et leurs conséquences comme la destruction faisant suite à la colère ? Ou encore la sauvegarde de la mémoire cognitive et émotionnelle des êtres vivants. Comment laisser une trace de celle-ci sans qu’elle ne soit déformée par le temps et sans qu’elle n’ait la forme d’un vestige matériel devant être interprété par un archéologue ?

Concernant l’aspect sociétal, les textes abordent des matières aussi larges que l’image de la femme dans le monde, les limites de la liberté individuelle, le respect de la vie privée, la surconsommation, le racisme et la suprématie des blancs, l’expansionnisme, les dangers de la dépendance à la technologie, le rejet de la différence et les haters.

Le Revers du silence de Fabrice Schurmans peint le portrait d’une ville du futur qui rappelle des pays contemporains. Ceux qui brillent par leurs aspects conviviaux, propres, huppés mais qui sont construits sur des bidons-villes vivant dans leur ombre. Là où on cache la misère et la violence. D’autres récits projettent des manières de vivre alternatives : l’entraide, la mutualisation et le respect de la nature.  

De nombreux auteurs signifient des écritures bien différentes. Il y en a pour tous les goûts. Certains utilisent le journal de bord en jonglant entre la passion enflammée du scientifique et la neutralité froide du robot, d’autres sont plus descriptifs, moralisateurs, humoristiques voire violents durant quelques passages. Sylwen Norden avec La Machine à capter le chant des sirènes, apporte quant à lui une touche contemplative avec son lyrisme et son poétisme qui tranchent avec ce que l’on peut lire habituellement.

Afin de vous donner envie de la lire, voici les trois nouvelles que j’ai préférées :

  • Entre les mains de dieux étranges de Victor Fleury

Cette intrigue surprenante nous plonge dans l’Antiquité grecque. Mopsos et ses troupes sont à la poursuite des hommes du satrape Bessos qui ont volé le trésor de leur seigneur. Il perd ses compagnons d’armes les uns après les autres après avoir attaqué un village troglodyte persan. Du moins, c’est ce qu’il pensait mais les « dieux » en ont décidé autrement.

Je n’en dirai pas plus sur son déroulement car je ne veux pas briser la magie de cette découverte. J’ai peur qu’en évoquant l’originalité qui se dévoile au fil de la lecture, elle n’ait pas autant d’impact. En effet, le choix de l’auteur est en totale rupture avec les autres textes de cette anthologie. Pas seulement parce qu’il utilise l’histoire comme scène principale. L’idée se cachant derrière le décor est très intéressante. Là encore, je crains de trop en dévoiler.

La plume de Victor Fleury est captivante. Dès les premières lignes, j’ai été happée auprès de Mopsos bien que l’époque soit loin d’être l’une de mes favorites. Elle est si fluide et dynamique que je me suis laissé emporter comme sur un cours d’eau. Afin de coller à l’ère, il inclut le vocabulaire grec approprié ce qui donne vraiment l’impression de lire au début une épopée historique plutôt que de la science-fiction.

  • Mort à crédit d’Aimé Leclercq

Gilbert Hathaway est un blogueur qui dénonce la mauvaise gouvernance des USA à coups d’argumentation férocement étoffée. Sa vie bascule lorsqu’il se rend compte que son Assistance Intelligente vocale prône des idées racistes. Est-il vraiment possible qu’un bot distille des propos pareils à l’encontre de son ami ou quelqu’un de plus puissant est-il derrière tout ça ? Du fond de sa cachette, Gil écrit son témoignage en espérant qu’Elle ne le retrouvera pas.

La narration à la première personne du singulier peint un personnage principal au langage populaire. Si je n’ai pas beaucoup accroché au style et à Gil, j’ai fort apprécié l’idée de base qui me fait réfléchir sur la situation d’aujourd’hui et l’arme que la technologie peut devenir entre de mauvaises mains. Si nos smartphones, ordinateurs et autres objets connectés ne prennent pas la parole pour s’imposer à nous, la diffusion ciblée des informations et les fake news sur nos écrans s’y rapprochent. A quel point ce que nous y lisons est-il manipulé par les algorithmes derrière lequel se cachent des humains ?

  • La dernière ville sur Terre de L.A. Braun

New Dublin est le dernier paradis sur terre. Celui où l’humain peut se développer en bonne santé et en sécurité. Le seul bémol : il n’est pas libre de s’y épanouir. Son bonheur est dicté par une intelligence artificielle qui lui offre les meilleurs choix. Si on ne respecte pas l’une des options ? Pas de punition. La Machine endort votre responsabilité. Dans ce monde, la culpabilité et la réflexion sur les conséquences de ses actes n’existent plus. Chaque aspect du quotidien est régi par ses propositions. Et la majorité des citadins la suivent sans se poser de questions.  

Dans cette vie parfaite, Siobhán a un mari chômeur qui passe ses journées dans la réalité virtuelle et une fille qu’elle voit seulement dans son lit. Bien qu’elle travaille pour Neurocorp et la Machine, elle désire autre chose.

Jack a été élevé au Machinat, cet orphelinat pour enfants délaissés par leurs parents par « choix ». Après avoir découvert une information capitale à la bibliothèque de l’humanité, il aspire coûte que coûte à sortir de New Dublin et à se soustraire à la vigilance de la Machine. Neurocorp avait fait une promesse en la construisant : elle ne deviendrait pas comme les IA des films, elle ne penserait pas et n’agirait pas par elle-même. Mais est-ce bien vrai quand la sécurité des citoyens est en jeu ?

Ce récit est à mettre en parallèle avec la multitude d’applications de coaching (sport, nutriscore, etc) qui sont censées nous aider à améliorer notre quotidien et notre santé, et du contrecoup qu’elles peuvent générer. Le sentiment d’ennui malgré le confort. L’envie de vivre autre chose. De sortir de la routine. De prendre des risques. D’oser. Si la rencontre et la fuite de Sio et de Jack restent assez classiques, j’ai beaucoup apprécié les sujets abordés par la romancière dont l’écriture efficace m’a plongée au cœur de New Dublin.

En bref, Nouvelles Ères est une anthologie riche qui présente le monde de demain bâti sur des éléments d’aujourd’hui . Si certains thèmes sont récurrents dans le domaine de la science-fiction, les auteurs ont réussi à les explorer de manière originale si bien que chacun devrait trouver chaussure à son pied. Pour ma part, j’y ai fait de belles rencontres et je vais me pencher sur les ouvrages de ceux qui ont retenu mon attention.

4 commentaires sur “Nouvelles Ères (anthologie)

  1. Bonjour ! Merci pour cette belle chronique ! Je suis enchantée d’avoir participé à ce recueil, avec toutes ces plumes et ces univers variés… Vos mots sur ma nouvelle (La dernière ville sur Terre, c’est moi :D) me font chaud au cœur. ^-^
    J’ai aussi beaucoup aimé Mort à Crédit, surtout pour la chute que je trouve terrible ! 🙂

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    1. Bonjour. C’est avec plaisir que j’ai chroniqué cette anthologie. Merci pour votre retour et votre écriture qui m’a transportée. ^_^ Au plaisir de lire d’autres de vos livres.

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  2. Bonjour, une bien jolie surprise de voir son nom cité dans un coup de cœur. Moi aussi je suis très heureux d’avoir pu participé à ce recueil de nouvelles. Votre intérêt pour le fond de l’histoire est très encourageant pour la suite. Je prends bonne note pour le style. Merci infiniment.

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    1. Bonjour. Merci pour votre retour sur ma chronique. Ne vous en faites pas pour votre style. C’est votre choix et ce sont mes goûts. D’autres y adhéreront à 100%, j’en suis sûre. 😉 Votre idée de base est excellente. Après tout, les bots et IA sont codés par des hommes. Rien n’assure leur neutralité. Un peu comme l’éducation qui peut être à double tranchant. Tout dépend du professeur et de la manière dont il présente les choses.

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