Sorcière de chair de Sarah Buschmann

  • Titre : Sorcière de chair
  • Autrice : Sarah Buschmann
  • Éditeur : Noir d’Absinthe
  • Catégorie : horreur fantastique

Sorcière de chair est arrivé dans ma wishlist après la lecture de plusieurs chroniques dépeignant le coup de poing violent que ce récit décoche en pleine poitrine. Lors de ma première visite au Salon du Livre de Mons en 2022, je n’avais pu résister à la tentation de me le procurer malgré un budget serré. Je regrette de ne pas l’avoir sorti avant l’annonce de la fermeture de la maison d’édition Noir D’absinthe. J’espère que ce roman ne tombera pas dans l’ombre, enterré sous le désert aride du monde livresque.

Australie, 2016.

Sept ans après un massacre qui a décimé toute une famille, de nouveaux meurtres surviennent à Melbourne. Des homicides si sordides que la Sorcellerie de Chair, taboue depuis les grandes chasses qui ont déchiré le pays, est évoquée.

Pour Arabella Malvo, lieutenante de la brigade criminelle, ils s’avèrent particulièrement déstabilisants. Pourquoi les victimes lui ressemblent-elles comme des sœurs ? Le meurtrier la connaît-elle ? Pourquoi maintenant ?

Une chose est sûre : l’abîme qu’elle fuit depuis toutes ces années risque de s’ouvrir à nouveau sous ses pieds. Et cette fois, de l’engloutir pour de bon…

Sorcière de chair est un roman qui se lit à la fois facilement et difficilement. Les pages défilent rapidement, pourtant, le contenu pourrait freiner plus d’un cœur fragile. L’autrice n’épargne rien, ni à sa protagoniste ni à ses lecteurices. Si vous souhaitez pénétrer dans cette enquête sanglante, vous êtes avertis ! Dès le prologue, elle nous met en garde. Elle dévoile au fil de son intrigue des comportements que l’on pourrait définir comme horribles, terrifiants, violents. Cependant, ces mots sont bien trop faibles pour décrire la cruauté et les ténèbres qui étouffent les personnages. On assiste à un jeu de domination, de manipulation, d’égoïsme, de pouvoirs. La vengeance gangrène chaque personnage tour à tour, la haine explose au visage d’Arabella, la transperce de part en part. Mais ne soyez pas dupe, même elle n’est pas un ange.

Si les révélations se devinent vite, l’histoire n’en reste pas moins captivante. La romancière dépeint une Australie qui craint les sorcières, car celles-ci ont le pouvoir de manipuler la conscience et la mémoire. La magie est fondée sur la neurologie et offre des contraintes intéressantes dans le développement du suspense et de l’enquête d’Arabella. Les forces et les faiblesses sont dosées pour emmener notre protagoniste sur le chemin cruel du passé. Des souvenirs qu’elle aurait préféré effacer à jamais de sa mémoire vont bouleverser la vie qu’elle n’a même pas réussi à reconstruire, et salir les espoirs, les morceaux d’humanités auxquels elle se rattachait.

Malgré ses actes, malgré les sévices qu’elle a subis, notre enquêtrice possède encore une lueur vacillante au fond de son cœur. Une lumière naïve qui la raccroche à cette terre qui l’a maudite depuis sa naissance. Sarah Buschmann la torture autant physiquement que psychologiquement. Elle l’écrase, l’enfonce dans l’abyme glacial du désespoir.

En bref, Sorcière de chair dépeint la perfidie de la vengeance. Ce serpent répand son venin, corrompt les âmes et noircit chaque cellule jusqu’à étouffer tout espoir. Sous ces airs d’enquête simple, l’autrice offre une histoire dont personne n’en ressortira indemne. Personnages et lecteurices.

Le Festin des goules de Gilles Debouverie

  • Titre : Le Festin des Goules
  • Auteur : Gilles Debouverie
  • Éditeur : Livr’S Éditions
  • Catégorie : horreur fantastique

Le Festin des Goules est la suite indépendante du Talisman. Je recommande de les lire dans l’ordre chronologique, car Gilles Debouverie ne cache pas les rebondissements de la première enquête ce qui serait dommage si vous souhaitez la découvrir.

Douglas Campanelli est un ancien pêcheur qui vit reclus dans sa belle villa située au bord de l’océan. Une nuit, il est réveillé par un individu étrange qui le somme d’avouer son implication dans une vieille et sordide histoire de meurtre. Pour obtenir la vérité, l’inconnu le menace d’ouvrir la porte de sa cave afin de libérer des goules voraces qu’il dit contrôler.

Carla Mendez est toujours lieutenante de police à Dunkham, petite ville côtière du Massachusetts coincée entre Plymouth et Boston. En plus de devoir gérer les problèmes de santé de son nouveau compagnon, elle est affectée à un meurtre sordide qui s’est déroulé dans un quartier où le temps semble s’être figé au siècle dernier.

Le parcours sanglant de celui qui sera bientôt appelé « L’arracheur du Massachusetts » ne fait que commencer.

Cette enquête policière horrifique s’inspire de la nouvelle Le Modèle de Pickman de H.P. Lovecraft. Il n’est pas nécessaire de l’avoir lue au préalable. Le romancier explique suffisamment ses liens et sa contribution au sein du récit pour éviter de perdre ses lecteurices. Le festin des goules est un pavé structuré en deux parties qui se succèdent comme un jeu de domino. Comme dans Le Talisman la narration se partage entre le tueur et la policière. Si j’avais adoré cette découpe dans le premier tome, ce principe m’a laissé de marbre ici. La raison tient sans doute à la personnalité du criminel. Celui-ci est méticuleux, chirurgical, froid et distant en plus d’être ambitieux, ce qui l’a rendu moins humain, moins cynique, moins mordant que l’esprit du talisman.

L’enquête nous plonge dans le domaine artistique macabre et cauchemardesque qui rappelle les tableaux d’un Füssli, mais en plus trash. Les créatures terrifiantes se repaissant de la chair des victimes. Si la question Faut-il séparer l’œuvre de l’artiste ? est évoquée dans ce roman, elle n’est ni argumentée, ni décortiquée. L’auteur laissant en suspens cette interrogation sans montrer son parti pris. On y voit également des hommes censés être respectables s’adonner à leurs vices en toute impunité. Une violence extrême se dévoile sous les coups de plume de Gilles Debouverie qui jette des atrocités à la figure des lecteurices. Si vous êtes fragiles, passez votre chemin, car les révélations dénoncent les pires folies dont sont capables les hommes. Face à ses scènes de genre, les goules nous apparaissent tels des moutons inoffensifs.

J’ai adoré retrouver Carla et son caractère de molosse. Elle mord les piètres idiots qui ont des préjugés avec un bagou incroyable. Elle oscille toujours entre sa franchise et ses remords, car elle se rend bien compte que ces propos peuvent impacter dangereusement le mental des autres.  

En bref, Le Festin des Goules nous attable en compagnie des pires vices de l’humanité. À cette table, nous y dégustons l’ambition morbide qui repousse les limites de la cruauté. Nous découvrons le véritable visage des monstres assouvissant leurs désirs de sang, de vengeance et de gloire dans une enquête un peu longue, mais dont l’horreur ravira les papilles des dévoreurs du genre.    

Les Nouvelles Portes de l’imaginaire – AJILE 2023 (anthologie)

  • Titre : Les Nouvelles Portes de l’imaginaire – AJILE 2023
  • Auteur.ices : Maya Bonnier, Nathanaël Donné, Christelle Jansen, Hanaé-Lou Kerkhofs, Michelle Stuyven, Lou-Anne Usewils
  • Éditeur : Livr’S Éditions
  • Catégories : nouvelles, fantastique

Les précommandes de février chez Liv’S éditions annonçant la parution d’un second volet, j’ai sorti de ma pal Les Nouvelles Portes de l’imaginaire – AJILE 2023 qui contient six textes écrits par des auteur.ices en herbe. Cette anthologie a été réalisée en collaboration avec l’association bruxelloise AJILE.

Comme à mon habitude, j’ai lu une nouvelle par jour, me laissant bercer par ces débutant.es, ces inconnu.es que j’aimerais encore rencontrer dans mes aventures livresques dans le futur pour certains d’entre eux. Malgré des plumes parfois académiques, j’ai été touchée tour à tour par l’émotion, l’originalité, la maîtrise stylistique et la simplicité. Toutes les nouvelles ne me laisseront pas un souvenir intense, cependant, elles méritent d’être découvertes.

J’ai particulièrement apprécié la douceur et la force de l’amour fraternel/la sororité dans La nouvelle chance de Nathanaël Donné. Cette histoire est trop chou alors qu’elle aborde la thématique du deuil et du pouvoir de la musique. À croire que les planches de la scène m’ont capturée dans ce recueil, car Danza Danza, stellina de Christelle Janssen m’a envoûtée de ses entrechats et pointes machiavéliques qui témoigne de la cruauté de l’univers des ballets. Enfin, Le miroir maudit de Lou-Anne Usewiks m’a renvoyé à l’époque des contes merveilleux et moralisateur en dénonçant la cupidité du narrateur en quelques lignes.

Lullaby de Cécile Guillot

  • Titre : Lullaby
  • Autrice : Cécile Guillot
  • Éditeur : Éditions du Chat noir
  • Catégorie : fantastique

Je me suis procuré la novella Lullaby lors de la Foire du Livre de Bruxelles en 2023 où l’autrice me l’a gentiment dédicacée à mon prénom et à celui de ma maman avec qui je partage ma passion des livres.

États-Unis, années 20.

Hazel aime écrire des histoires horrifiques et rêve de devenir romancière. Son cœur bat pour sa jolie voisine, Blanche. Mais quand ses parents découvrent ses diverses inclinations, ils s’en indignent et décident de la faire interner à Montrose Asylum.

Là-bas, elle rencontre la fougueuse Jo et la fragile Lulla. Toutes les trois vont suivre la mystérieuse berceuse qui s’élève la nuit, les menant au sein d’un jardin abandonné…

Lullaby expose les concepts que j’aime. Il dénonce les abus patriarcaux et les comportements anormaux envers les femmes qui ne rentrent pas dans le moule. Les années 1920s pendant lesquelles se déroule l’intrigue de cette novella sont un choix d’autant plus judicieux que cette décennie symbolise l’une des ruptures avec le modèle instauré (ou devrais-je dire imposé ?) au XIXe siècle. Cette période d’essor industrielle et de changements de régime politique a été dévastatrice pour la condition de la femme qu’on enferme entre les murs du foyer, la mode les étouffant dans des corsets et les immobilisant dans des robes inconfortables. Je n’évoque pas ici des dames issues de la classe ouvrière, car Lullaby place son contexte dans le monde des riches.

Hazel provient d’une famille aisée dont les traditions lui pèsent. Aventureuse et créative, elle écrit des histoires d’horreur et rêve de devenir romancière. En totale contradiction avec ses parents qui ne la considère que comme une poule pondeuse gardée dans l’ombre de son futur mari. Alors que l’émancipation féminine revendique des droits, les cheveux courts et habillée des tenues pratiques, ils symbolisent le rejet de la modernité libératrice des années 1920s. On ne peine pas à imaginer la souffrance et la rébellion qui couve entre les lèvres scellées d’Hazel. Une jeune femme dont la lecture de son carnet va l’enfermer. Apprenant les penchants de leur fille, devenue monstre à leurs yeux, les parents l’envoient à Montrose Asylum.

Cette novella n’est pas ma première incursion dans le monde des asiles pour femme. Des documentaires sur Nellie Bly et cette pauvre Rose Marie Kennedy (la sœur du président américain) m’ont renseignée sur les horreurs perpétrées envers les femmes, pour la majorité saine d’esprit que les hommes veulent purifier ! Des femmes brisées et amenées vers la folie ou l’état de légume après des traitements que l’on ne peut qualifier autrement que de tortures. Les asiles incarnent la perfidie masculine qui a réussi à détourner le système pour continuer ses féminicides et assouvir sa dominance. Si les bûchers ont été interdits, les hommes ont trouvé le moyen légal de poursuivre leur vilenie sous couvert médical. Le mot hystérique remplaçant celui de sorcière.

Plusieurs des méthodes cruelles sont évoquées et certaines sont légèrement décrites dans Lullaby sans pour autant verser dans le voyeurisme. Cécile Guillot dénonce ces tortures avec justesse et en évitant d’enlever la dignité des femmes qui les subissent. Elles sont victimes et en même temps héroïnes.

Hazel rencontre Joséphine Foley incarcérée, car elle milite pour les droits des femmes. À son contact, Hazel se sent à la fois comprise et honteuse en raison de son ignorance sur les combats menés pour l’égalité, elle qui pensait pouvoir trouver un travail et en vivre sans aucun souci. Sa candeur morcelée par le traitement de ses parents va encore en prendre un coup. Une amitié profonde naît entre les jeunes femmes rejointes par une certaine Lulla.

Un soir, le trio est réveillé par une berceuse entonnée par un spectre du passé. Il découvre un jardin secret dans un couloir désaffecté. Un monstre y rôde. Entre rêve et cauchemar, Hazel doit démêler le vrai du faux pour éviter de sombrer dans la folie. J’ai adoré la manière dans l’autrice insère le fantastique dans la réalité brute et cruelle.

Si les personnages ne sont pas développés à fond, l’histoire reste accrocheuse par ses thématiques et la dynamique engendrer par le format court. La romancière emploie des citations de Renée Vivien pour illustrer les sentiments amoureux d’Hazel, renforçant son lien avec le monde des livres, l’écriture étant un véritable exutoire pour la jeune femme. N’étant pas du tout fan de poésie, je ne connaissais pas cette poétesse, parlant de son amour pour une femme, sur laquelle Cécile Guillot lève le voile. Une manière de contrer l’invisibilisation des femmes menaçantes par leur créativité et de rajouter une case à cocher sur la liste des combats féministes.

En bref, j’ai adoré Lullaby. Malgré un manque de profondeur chez les personnages dû au format court, la mise en scène des dénonciations des pratiques psychiatriques et médicales des asiles destinés aux femmes qui brisent les chaînes imposées par les hommes est percutante. Les épisodes s’enchaînent sans accro et nous plongent dans cette démence où la révolte ne se bat pas à armes égales avec la domination masculine. L’imagination s’allie à l’émancipation pour survivre à la cruauté patriarcale.

Sombre Tilly de Georgia Bowers

  • Titre : Sombre Tilly  
  • Autrice : Georgia Bowers
  • Éditeur : Éditions du Chat noir
  • Catégorie : fantastique

Quand le roman Sombre Tilly fut annoncé par son éditeur, j’ai de suite été envoûtée par la couverture illustrée par Marcela Bolivar. Cette jeune fille étonnée par la tournure des événements alors qu’un roncier aux feuilles couleurs sang l’emprisonne symbolise parfaitement le retour de manivelle qu’elle se prend en pleine figure. Arrivera-t-elle à sortir de la situation périlleuse dans laquelle le mauvais sort l’a jetée ? Lecture réalisée pendant le PAC 2023 : Automne douceur de vivre — La dame chouette des îles bouillantes.

La magie laisse toujours des marques.

Toute sa vie, Matilda n’a entendu qu’une chose à propos de ses pouvoirs : de ne les utiliser qu’un cas de nécessité. Mais Matilda se fiche d’être une gentille sorcière. Elle veut être populaire, se venger de ceux qui l’embêtent et vivre sa vie libre de toutes conséquences, sans les cicatrices que la magie noire laisse sur son visage à chaque fois qu’elle en use, rappel de tous ses méfaits.

Quand un sort dérape et que le nouveau du lycée la prend sur le fait, Matilda craint que son secret ne soit révélé au grand jour. Mais au lieu de se montrer effrayé, Oliver lui demande de lui enseigner la sorcellerie. Et tandis qu’Oliver et Matilda se rapprochent, des choses étranges commencent à arriver : des animaux morts sont retrouvés avec des signes gravés sur le corps, une jeune fille décède mystérieusement et tout semble la pointer du doigt. Cependant, Matilda est innocente — du moins, si elle en croit ses souvenirs confus…

Je me suis plongée dans cette lecture, car j’avais besoin de noirceur. Le portrait esquissé dans le résumé de Sombre Tilly semblait répondre à ce critère. Une adolescente égoïste qui use de la magie noire sans avoir peur des conséquences ? Que demander de mieux qu’une graine de vilaine sorcière qui brave les lois de sa famille ? Malheureusement, les promesses que la quatrième de couverture m’avait faite miroitée n’ont pas été tenues.

Matilda est une jeune sorcière qui doit rejoindre un coven de sorcière au moment de son seizième anniversaire. Comme toute ado qui se respecte, elle se rebelle contre les règles. Elle ne veut ni en intégrer un ni distiller son savoir pour le bien. Elle use de sortilèges pour son propre profit. Or, blesser une personne à l’aide de la magie grave le méfait sur la peau éternellement. Mais voilà, notre charmante Tilly a de la chance. Elle est issue d’une famille qui peut contrer cette loi en dissimulant les cicatrices de la forme du prénom de la victime. Elle n’aurait pas dû connaître ce sortilège, mais son père lui a légué cette astuce volée avant de les quitter. Alors, elle en abuse sans penser aux conséquences. Sauf que les actes néfastes finissent toujours par vous revenir en pleine figure tel un boomerang acéré. 

Le comportement de Matilda témoigne d’une souffrance bien moins magique que l’on pourrait croire. Il ne s’agit pas d’une soif de puissance, de contrôle sur les autres, mais d’un moyen de surmonter ses blessures mentales. Les racines pourraient remonter jusqu’à Ivy, la légendaire sorcière que les citoyens de Gravewick ont balancée injustement au fond d’un puits pour purger le soi-disant mal qui rongeait la région. Cependant, c’est dans le passé de Tilly que naît le problème. Elle doit dissimuler ses pouvoirs, ce qui a impacté ses relations autant familiale qu’amitieuse. Comment réussir à construire une relation saine quand on ne peut vivre au grand jour sous son vrai visage et qu’un seul faux pas peut tout changer ? Grâce à de nombreux philtres, elle se lie temporairement à des ami.es. Toutefois, la magie ne crée que des liens superficiels qui finissent par la lasser. Elle vit dans cette incessante boucle de faire et défaire jusqu’au jour où Oliver entre dans sa vie. Pour une fois, quelqu’un s’intéresse à elle sans l’aide d’une potion et il connaît en plus son monde. Une nouveauté qui l’ébranle et la transforme en une simple adolescente que les hormones dominent. Vous vous en doutez, on va vite aller vers une romance qui va prendre bien trop de place dans l’histoire à mon goût, bien qu’elle soit utile à l’intrigue. J’ai levé les yeux aux plafonds à chaque fois que Matilda ne se sentait plus en apercevant un bout de tissu, de peau appartenant de son élève.

Bien qu’elle ne soit pas une sorcière accomplie, Tilly possède une grande expérience et maîtrise du monde magique vu qu’elle y baigne depuis son enfance. Elle enseigne deux trois petites choses à Oliver qui ne descend pas d’une lignée de sorcier.ères. Les interactions avec le jeune homme vont adoucir les blessures de Tilly, malgré l’angoisse générée par les meurtres en série.

L’histoire prend place quelques jours avant Halloween et son ambiance lugubre. Un décompte rythme les chapitres du roman aidant à poser le suspense. Les premières victimes sont des animaux, mais bientôt une fille les suit. Et pas n’importe laquelle bien entendu. L’anxiété étreint Matilda qui subit en plus des pertes de mémoire et fait de nombreux cauchemars.

Isolée, effrayée par la tournure des événements elle n’a que deux personnes vers qui trouver un peu de réconfort. Oliver et Nana May. Malheureusement, la deuxième ne parle plus et la communication s’avère difficile malgré la douceur des gestes de la grand-mère. Matilda refuse de demander de l’aide de Lottie, sa maman, qu’elle rejette depuis sa séparation avec son père.

Sombre Tilly n’est pas seulement une histoire d’amour et de magie corrompue. C’est aussi un récit qui exploite les différentes facettes de l’amitié. Le réconfort que ce sentiment apporte et les peurs qu’il engendre.  

En bref, Sombre Tilly met en scène une jeune sorcière dont les actes ont forgé sa propre solitude. Loin de la créature maléfique dépeinte dans le résumé, Matilda endosse le rôle de l’adolescente mal dans sa peau qui use de ses pouvoirs pour éviter de penser à la douleur. Manipulation et dissimulation rythment cette histoire qui témoigne de la puissance de l’héritage, de son poids et des responsabilités qui en découlent. Dommage que la romance a supplanté le suspense engendré par le mystère des meurtres.

Les brumes affamées de Dawn Kurtagich

  • Titre : Les brumes affamées
  • Autrice : Dawn Kurtagich
  • Éditeur : Les éditions du Chat noir
  • Catégorie : horreur fantastique

J’ai lu Les brumes affamées dans le cadre du PAC 2023 (Automne rayonnant. L’esprit indomptable de Jo March). Ayant apprécié The Dead House, j’ai profité des promotions aux Éditions du Chat noir pour me le procurer. Les thématiques sur la sorcellerie et le féminisme ont bien entendu joué un rôle important dans ce choix et la sélection du roman dans le PAC.

De nos jours. Zoey, obsédée depuis toujours par les ruines de Mill House qui semblent avoir un lien avec l’amnésie de son père, fugue avec son meilleur ami pour y mener l’enquête. Sur place, des événements étranges les font douter. Sont-ils seuls ? En danger ? D’autant plus que personne ne sait qu’ils sont ici…

1851. Roan emménage à Mill House pour y vivre avec son nouveau tuteur après le décès de son père. Elle y fait la rencontre d’autres orphelins. Mais quand elle comprend qu’elle est liée à un ancien secret, elle décide de s’échapper avant qu’il ne soit trop tard… Avant que les brumes ne se referment complètement autour du manoir.

1583. Hermione, jeune mariée, accompagne son époux dans les terres sauvages du nord du Pays de Galles où il a prévu de construire une maison et un moulin à eau. Mais bientôt, des rumeurs concernant des rituels démoniaques se propagent…

3 femmes, 3 époques différentes, toutes liées par un Pacte impie. Un pacte signé par un homme qui, plus de mille ans plus tard, est peut-être encore là…

Nous suivons les trois protagonistes de façon inégale. Alors qu’on aurait pu penser lire une enquête du présent sur les événements passés, c’est le fil de Roan qui a le plus d’ampleur dans le roman (qui, au passage, a fait l’objet d’un magnifique travail éditorial autour du texte et en interaction avec celui-ci). Endeuillée par la perte de son père, elle se rend à Mill House pour y rejoindre son nouveau tuteur : le Dr Maudley. Elle y rencontre sur place les autres pupilles : Emma, Seamus et Rapley. Alors que le brouillard se lève, rendant la montagne de plus en plus austère à leur fuite, d’étranges phénomènes se produisent.

Nous découvrons une femme déterminée, intelligente qui porte le poids d’un passé incohérent. Élevée dans une bonne famille, elle est fière et bien éduquée. Cependant, elle ne supporte ni le corset qui l’empêche de respirer ni la crinoline qui lui sert de cage et elle le montre à plusieurs reprises avec dignité. Si ces répliques sont délicieuses, Emma la surpasse par son franc-parler de campagnarde dont les manières n’entravent pas la langue. J’ai apprécié dès le départ l’Irlandaise pour sa simplicité et son tempérament.

Zoey est séparée de son père atteint d’Alzheimer. Elle se lance sur les traces de son dernier voyage avec la fervente conviction que Mill House détient la clé du problème. Car sa maladie n’est pas naturelle. Elle est obnubilée par sa quête. L’adolescente raconte son récit via trois médiums qui rendent ses chapitres dynamiques et à double perception. Le journal intime nous livre ses pensées brutes et la manière dont elle a vécu les épisodes du récit. La vidéo quant à elle nous permet de prendre du recul sur Poulton et les personnages qui gravitent autour de Zoey grâce à la neutralité de la narration. Lorsqu’elle est séparée de son ami, le SMS fait son entrée. J’ai été subjuguée par l’habilité de l’autrice à utiliser les messages. En quelques mots (dans les premiers chapitres consacrés à Zoey), elle marque l’attachement et construit la relation de ses deux personnages avec brio. On voit direct à quel point ils sont proches. Elle arrive également à développer une tension lors des échanges.

Enfin, Hermione apparaît ci et là à travers une page de son journal qui raconte son quotidien peu amène de jeune mariée. Une union qui l’emporte sur le sommet d’une montagne d’ardoise à cause du rêve fou de son époux.

Ces trois fils se rejoignent au cours d’une histoire plus atmosphérique que structurée. L’image de la brume est en ce point favorable à décrire cette sensation. Elle brouille la vision, une partie est visible, on bouge et hop, on voit autre chose qui ne semble pas avoir de lien avec la précédente. C’est l’impression que la succession des scènes au sein de l’acte de Roan m’a donnée. Le mystère et l’ambiance prennent le pas sur le lien entre les épisodes. Les transitions sont parfois saccadées, incertaines. On doute, on se questionne. La folie n’emporte pas que les protagonistes. Elle nous pousse à tourner les pages pour connaître le dénouement telle une fièvre démoniaque. Elle a été le moteur de mon intérêt vu que je n’ai pas été particulièrement touchée par les personnages principaux.

En bref, Les brumes affamées nous conte le récit de trois femmes issues d’époque différente malmenées par la folie, la crainte et la haine. Ce roman atmosphérique mêle des figures féminines fortes qui se débattent contre le mal et contre elle-même. Je regrette juste de ne pas m’être attachée à elles.  

Une mort sans fin (Cassylyna, tome 2) de S.A. William

  • Titre : Une mort sans fin (Cassylyna, tome 2)
  • Autrice : S.A. William
  • Éditeur : Livr’s Editions
  • Catégorie : fantastique

Quand mon envie de lecture se bat avec la fatigue, je pioche généralement un manga. Sauf que cette fois-là, je désirais lire un roman et quoi de mieux qu’une valeur sûre, une comédie fantastique pour surmonter ce mauvais moment ? Cassylyna pourrait bien être devenue ma détective spectrale préférée. Que nous réserve sa nouvelle aventure dans l’entre-deux ?

Cassylyna aurait aimé profiter d’une retraite paisible après avoir formé avec brio son premier Nécromant.

Hélas pour elle, les Hautes Instances ne sont pas de cet avis : elle devra continuer sa mission tout en intégrant un centre de formation pour surnaturels. Hors de question de laisser sa puissance brute sans contrôle…

Avec toute la mauvaise volonté que nous lui connaissons, Cassylyna va donc faire son entrée au milieu des TWIG. Mais même dans le camp des gentils, elle ne pourra pas s’empêcher de flotter là où il ne faut pas…

J’ai adoré retrouver le fantôme le plus cynique et égoïste de la Terre à côté de son ami avide d’aventure, mais froussard. Alors qu’elle pensait être tranquille après ses mésaventures du tome 1, Cassy se voit attribuer une nouvelle nécromante et obliger de rejoindre une école pour surnaturels (TWIG) afin de contrôler ses pouvoirs. Elle est un cas unique dans le monde.

Sa protégée Camille enchaîne les petits boulots et vit dans une chambre de bonne chez une vieille dame dont elle s’occupe. Méticuleuse, rigoureuse, elle ne recule devant rien pour remplir son compte en banque, ce qui met Cassy dans une situation peu banale envers Alvass, notre vampire dont tous les secrets n’ont pas encore été percés. Une fois le contrat passé, Camille s’implique à fond dans ses missions, sans négliger ses autres jobs, au point d’avoir recours à des idées incroyables pour atteindre ses objectifs. Elle n’a pas froid aux yeux.

Parallèlement, Cassy s’investit à contrecœur dans les cours dont les matières sont pour le moins originales. Figurez-vous que notre asociale doit suivre des leçons de sociabilisation. Ricky rigole bien devant l’air déconfit de son amie. D’autant plus lorsqu’il use de ses propres armes pour la pousser à accomplir les tâches assignées. Cassy ne peut résister au bon sens de sa conscience spectrale et encore moins à la bienveillance de sa gargouille de compagnie. Pourtant, elle ne s’adoucit pas pour autant. Elle a toujours du répondant, une langue aiguisée et un cynisme mordant. Par moment, ses répliques sont même trash. Âme et vampire sensibles abstenez-vous !

Le thème de la grossophobie revient sur le devant de la scène dans ce second roman avec l’école pour décor. Quand elle est témoin de harcèlement, notre détective se précipite pour aider Dagmar malgré la douleur des souvenirs qui ressurgissent. Ces comportements odieux font partir de ceux que le directeur Tancred souhaiterait anéantir. Il veut l’unité des surnaturels qui se font la guerre depuis des siècles. Bien entendu, tout le monde n’est pas en accord avec ce vœu.  

Nous suivons donc plusieurs fils d’intrigue dont Cassy doit s’occuper malgré le peu de volonté qui l’anime. Sa curiosité l’emportera toutefois vers cette aventure qui nous plonge dans les légendes locales.

En bref, j’ai adoré retrouver Cassy et Ricky dans Une mort sans fin. Ce roman brise les codes héroïques avec cynisme grâce à sa protagoniste hors norme. L’autrice dévoile un peu plus son univers surnaturel en déterrant le folklore et les querelles ancestrales pour notre plus grand plaisir. Lire les enquêtes de Cassylyna, c’est comme manger du chocolat, celui dont le cœur croustillant pétille sur la langue. 

Gold Rush de Sam Cornell

  • Titre : Gold Rush
  • Auteur : Sam Cornell
  • Éditeur : Livr’S Éditions
  • Catégories : horreur, fantastique

Ayant apprécié La collision des mondes, j’ai de suite été attirée par la nouvelle production de Sam Cornell. Je remercie Livr’S Éditions pour ce cadeau et l’auteur de m’avoir contactée. L’intérêt porté à mon humble blog me touche énormément. Dans les instants de doute, je me souviens de votre présence et de vos paroles. Ça me boost. Bon, je laisse de côté le moment marshmallow pour vous présenter ce petit lingot qui m’a transporté le temps de quelques pages dans des contrées lointaines.

Alors que les tuniques bleues traquent Crazy Horse et Sitting Bull, un événement terrible se produit dans les Black Hills. Quelque chose d’horrible, d’innommable et d’incroyable.

Gold Rush nous plonge en pleine guerre de territoire, en 1876. À la suite à la crise économique, de nombreux Américains brisent le traité de Fort Laramie et les Amérindiens ripostent face à l’envahisseur qui souille leurs terres sacrées pour une poignée de pépites. Le récit débute par l’interrogatoire de notre narrateur, un métis, qui suivait les troupes américaines en tant que traducteur. Personne ne croira ce dont il a été témoin. Après un commencement lent qui dépeint le contexte (bienvenue pour les incultes du Far West comme moi), l’histoire nous happe tels les marécages dans lesquels les chevaux s’embourbent. Bon, la métaphore liée au décor de la novella n’est pas top, mais vous voyez le sentiment : c’est prenant au point de ne pas savoir sortir la tête de l’intrigue.

La troupe rencontre un village de Lakotas sur son chemin. Affamés, éreintés par le temps peu clément des collines, le capitaine Mills et le traducteur le rejoignent afin de demander sans possibilité de refus, des vivres pour les hommes. On ressent la tension des échanges avec le chef sioux qui leur met sous le nez les injustices des dirigeants blancs.

Sam Cornell n’élabore pas un simple récit d’horreur sur fond historique. Il se sert de la trame pour porter des messages forts et dénonce les actes terribles perpétrés par les Américains pour une question de territoire. Comme si ce continent n’était pas assez vaste pour accueillir tout le monde.

Le racisme a sa part belle, comme la déshumanisation des Amérindiens par les Blancs. Rappelons que les Américains parquaient comme des bœufs des êtres humains dans des réserves naturelles. Non seulement ils leur enlevaient des droits, mais également la liberté et la dignité. On y retrouve aussi les exactions des hommes, dits civilisés, qui violaient les femmes. Des horreurs qui me répugnent bien plus que les monstres ancestraux que l’auteur fait surgir.

Des monstres tapis dans l’ombre des Black Hills et qu’on ne devrait jamais réveiller. Un monstre qui s’éloigne des créatures classiques, légendaires pour revêtir les visions de l’angoisse. Bien que je n’aie pas tremblé devant elle, j’ai adoré cette incarnation de la peur, la manière dont elle se déploie et rampe vers les esprits pour les capturer.

Beaucoup le désignent comme lovecraftien. J’ose avouer que je n’ai lu qu’un seul ouvrage de ce romancier, et je ne l’ai pas apprécié, contrairement aux œuvres de Sam Cornell. Donnez-lui sa chance, si vous êtes comme moi.

En bref, Gold Rush expose les horreurs humaines sur fond de ruée vers l’or. Une confrontation entre deux civilisations, l’une qui se bat par avidité, l’autre pour conserver sa liberté. Le tout mené dans un récit court, prenant et convaincant qui ne laisse personne indemne.

Les ombres de Yamagata de Jocelyn Bouchet

  • Titre : Les ombres de Yamagata
  • Auteur : Jocelyn Bouchet
  • Éditeur : Gulf Stream
  • Catégories : jeunesse, fantastique

J’ai lu Les ombres de Yamagata de Jocelyn Bouchet dans le cadre de la masse critique de Babelio. Depuis l’annonce de sa sortie, j’étais intéressée par ce roman jeunesse mêlant enquête et surnaturel au Japon. Le tout, dans un XIXe siècle que j’affectionne. Je remercie les éditions Gulf Stream de m’avoir sélectionnée en échange d’une chronique.

1248, le rituel bouddhique de Maître Yasura tourne mal dans les montagnes de Yamagata.

Pendant la modernisation du Japon en 1873, le lieutenant Tussaud disparaît. L’état des cadavres de son équipe préoccupe le colonel Plantain qui se voit obliger de demander de l’aide à un enquêteur spécialisé dans les sciences occultes. Ainsi, Septime Klein débarque au Japon et remonte la piste paranormale aux côtés de Naomi Matsudaira, sa traductrice et protectrice. Le détective et l’espionne impériale vont affronter maints dangers sur la route de la vérité.

Je préfère annoncer la couleur immédiatement : ma lecture fut inégale et mitigée pour diverses raisons. Je m’attendais à une plongée dans les contrées nippones ancestrales. Ce Japon bousculé subissant encore le choc culturel suite à l’ouverture forcée par les Occidentaux de ses frontières après deux siècles d’isolement. Un pays tiraillé entre modernisation et tradition. Un mystère prenant qui se nourrirait du terreau local avec des personnages attachants. Le verdict est tombé rapidement : le roman s’apparente plus aux films d’aventures hollywoodiens tels Indiana Jones ou La Momie (je sais, j’ai de vieilles références).

Pourtant, le prologue à la narration digne des conteurs envoûtants avait stimulé mon appétit bien que tous éléments relatés apparaissaient dans le résumé. Au final, cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille, car l’intrigue est sans surprise et linéaire. Aucune révélation époustouflante ne vient ébranler les personnages. Le récit repose sur l’action. Des embuscades et de scènes de combats où le chant du pistolet et le sifflement du katana résonnent, où Nao sauve les miches de Septime, on en a une flopée. L’inversion des rôles des acolytes est sans doute l’un des éléments que j’ai le plus appréciés. L’auteur évite le beau gosse macho ou rigolo qui arrive à se sortir de toutes les situations en étant à peine décoiffé. Si l’espionne tombe aux mains de l’ennemi, elle sait se débrouiller. Toutefois, je n’ai pas réussi à m’attacher à ce duo en raison de leur construction.

Septime Klein manque de profondeur alors qu’il est le personnage principal ! Durant la lecture du premier chapitre, je ne le voyais pas. Il était neutre, incolore, sans couleur. Ses interventions se résumaient à quelques lignes pour couper le monologue historique du colonel (j’y reviendrais plus bas). Par la suite, son personnage se développe un peu plus, mais il m’a paru bien trop lisse. Solitaire, il est d’une bienveillance sans limites qui me fait presque regretter le macho (presque hein !). L’évolution soudaine de son caractère ne m’a pas convaincue. Lorsqu’un événement précis se produit, il jure toutes les trois secondes et devient grognon. Vers les derniers chapitres, il endosse le costume du rigolo pour quelques moments légers. J’ai vraiment eu l’impression de voir deux personnages différents. L’un transparent au début et l’autre cliché. Cette incohérence n’est pas la seule qui caractérise le détective. Au premier chapitre (oui encore lui), il se rend dans la chambre du disparu pour dénicher des indices. Il décrète qu’il ne trouvera rien sans ouvrir un seul tiroir, soulever l’oreiller ou toquer sur les parois et le sol à la recherche d’une cachette secrète. Il ne fait que balayer la pièce du regard, lire à voix haute la lettre que Tussaud avait écrite à sa sœur et questionner le militaire sur les deux photos bien visibles sur le bureau.

Avec un tel protagoniste, l’aventure commençait mal. Encore heureux, Nao a rattrapé un peu l’affaire. Un peu, car elle possède aussi des caractéristiques qui m’ont interpellée pour un roman à la sauce historique. Passionnée par la France, la jeune femme s’habille à la mode occidentale. Cynique, elle incarne peu les coutumes et mœurs nippones. Elle n’est pas superstitieuse et passe outre les règles de politesse qui sont pourtant d’une importance capitale au pays du Soleil Levant. Un comportement étonnant quand on connaît son statut d’espionne impériale et de femmes issues de bonne famille (même guerrière). Un milieu dans lequel la discipline est de fer. Mais soit, elle offre de belles scènes de combats et des réparties qui pimentent le récit.

Le développement de l’alchimie entre les deux compagnons de route a été bâclé. Une étincelle d’animosité éclaire la relation au début. Septime n’aime pas travailler avec quelqu’un (c’est un agneau solitaire) et la fine lame tente de le provoquer dans le train en le traitant d’envahisseur. Une amitié naît rapidement, trop rapidement entre les deux. La flamme de l’hostilité n’a même pas eu le temps de prendre.  L’amitié leur tombe dessus sans événements qui induiraient une remise en question et encore moins une évolution de la querelle avant cette étape d’opinion changeante.

Cette amitié, on la retrouve dans quasiment toutes les relations des « gentils », ce qui accentue le manque de profondeur des personnages. Un sentiment renforcé par l’incohérence des conventions sociales : on a des embrassades à la volée et des attitudes surprenantes pour l’époque et entre des gens issus de deux nations diamétralement opposées. J’ai dû me convaincre que cette liberté pouvait être prise, car ça reste un roman qui n’est pas revendiqué comme historique.

Pourtant, l’écrivain nous présente le contexte du XIXe siècle sur un plateau en béton durant…suspense…le premier chapitre. On a droit à une synthèse de plusieurs pages sur ce qu’il s’est produit entre le Shogun et l’Empereur avec l’aide des Européens et des Américains. Le colonel nous le fait à la manière du professeur avec son gentil élève qui intervient à peine. C’est peu naturel. Toutefois, je me suis dit qu’il faisait un rapport et vu la personnalité effacée de notre protagoniste ça marche, même si c’est lourd pour quelqu’un qui connaît déjà tout ça.

On voit que l’auteur maîtrise l’aspect historique et il l’intègre à son intrigue, mais ça s’arrête là. En fait, le récit aurait pu se dérouler n’importe où et c’est ce que je regrette le plus. Le folklore est balayé d’un coup de main et le paysage n’a pas assez de consistances pour m’avoir donné l’impression de voyager en terre nipponne. Le seul élément que j’ai trouvé intéressant est l’utilisation du sokushinbutsu qui met en avant une pratique dérangeante pour le commun des mortels. Toutefois, on fait l’impasse sur les méthodes orientales pour exorciser le mal sous couvert que tous les êtres surnaturels ont quelque chose en commun et je trouve ça dommage, car quand je lis une histoire se déroulant au Japon, j’aime respirer ce pays à plein nez.

Les sens, parlons-en ! Les ombres de Yamagata est un roman visuel. L’action y prend une place importante et la narration en pâtit. À un moment donné, l’absence d’odeur s’est présentée à mon esprit et je me suis mise à la chercher en vain. Ce sens n’est jamais utilisé. Le toucher à peine et le goût surtout pour la nourriture. L’ambiance du prologue n’est jamais revenue et je pense sincèrement que c’est l’un des points qui a joué dans mon détachement. Notre démon n’était qu’une peinture murmurante dont les effluves ne m’ont pas atteinte. Je n’ai pas ressenti de peur face à Yasura et encore moins devant le deuxième antagoniste.

Le style de Jocelyn Bouchet sculpte les phrases à la manière du XIXe siècle. Les tournures rappellent les auteurs classiques sans verser dans le lyrisme. L’emphase reste présente, un peu trop, pour relater les faits passés. Ainsi, tous les personnages finissent par parler de la même façon quand ils racontent ce qu’il s’est produit. Un lexique et des notes de bas de page définissent les termes japonais et les anciens noms de pays. Enfin, si la plume est fluide, elle pêche par la répétition des mots ou des comportements notamment pour couper les dialogues.

En bref, Les ombres de Yamagata fut une déception. L’action supplante l’enquête à l’image des films d’aventures. C’est un récit qui oublie l’immersion dans un Japon historique et met de côté la vraisemblance des personnages au profit des scènes de combats et de la résolution rapide de l’intrigue.

Justice soit faites ! (Magic Charly, #3)

  • Titre : Justice soit faites ! (Magic Charly, #3)
  • Autrice : Audrey Alwett     
  • Éditeur : Gallimard Jeunesse
  • Catégories : jeunesse, fantasy

En début d’année, j’ai inscrit mes séries en cours sur Livr’Addict qui propose un outil utile pour suivre l’avancée (ou pas) des sagas qu’on lit. Autant dire que le chiffre commençait à me faire pâlir, au point de doucement penser à ajouter un objectif à mon challenge de cette année : finir ou rattraper la sortie d’un max de série. C’est dans cet état d’esprit que je me suis emparée du dernier tome de Magic Charly. Comme d’habitude, ne lisez pas mon avis sans avoir parcouru les précédents tomes. Étant un livre jeunesse, je vais entrer dans les détails pour expliquer pourquoi on devrait le mettre entre les mains de nos ados et enfants.

Disparu de Thadam, Charly doit retrouver le chemin vers son monde. En parallèle, Sapotille, Césaria et June se préparent à combattre le Juge Dendelion qui profite des pannes de magie pour abuser de son pouvoir. Une course contre la montre commence pour sauver la magie et les magiciens.

Ce tome clôture une série jeunesse intéressante par les thématiques abordées ou incarnées par les personnages. De mon point de vue, je préfère largement le premier opus qui nous fait entrer dans ce monde à la fois merveilleux et impitoyable imaginé par Audrey Alwett. En effet, le récit du troisième tome se déroule selon un rythme similaire au second livre : lent la majeure partie du bouquin avec une accélération du tempo vers la fin. Je n’ai pas ressenti de suspenses intense ni vécu de rebondissements incroyables. L’histoire suit son cours comme un fleuve sans trop de remous jusqu’à l’embouchure vers la mer.

Pourtant, il est primordial de glisser cette série entre les mains des jeunes en raison des sujets bienveillants, dénonciateurs et tolérants dont elle regorge. Jusqu’à présent, je n’en avais jamais lu qui intégrait autant d’aspects défendus dans notre société de façon entière. Souvent, je rencontre seulement un ou deux thèmes exploités en profondeur. Faisons-en le tour !

La Justice

Indiquée dans le titre de ce troisième tome, la Justice est questionnée sous le personnage du Juge Dendelion devenu l’Allégorie de la Justice et les actions que nos jeunes amis vont devoir poser pour sauver le monde. Je salue l’effort d’Audrey Alwett de proposer une réponse à ce concept abstrait caractérisé par des cas particuliers. L’exercice est déjà difficile pour les adultes, alors l’expliquer aux enfants relève presque de l’exploit, d’autant plus que notre subjectivité et notre éducation entrent toujours en compte. J’ai apprécié la solution qu’elle a trouvée ainsi que son réalisme qui évite une fin à la Bisounours.

Sapotille et la métaphore du viol

Oui, vous avez bien lu. Dans Bienvenue à Saint-Fouettard, le Juge avait agressé Sapotille en arrachant les pages de son grimoire. Pour rappel, le grimoire n’est pas qu’un simple outil où s’inscrivent les connaissances dela magicien.ne, c’est une part d’iel. Y toucher, c’est pénétrer son intimité. Si le sujet avait été traité en surface dans le précédent tome, l’autrice lui rend justice ici avec la reconstruction de Sapotille. Celle-ci est déstabilisée. Elle ne sait plus ce qu’elle veut, car elle subit la pression de la société patriarcale et des idées reçues que l’acte du Juge a engendrées. J’ai ressenti un grand malaise en lisant les passages où Panus la domine et se permet de la toucher et de l’embrasser sous couvert qu’elle serait une fille facile et qu’elle ne dit pas non avec autorité, alors que son comportement indique clairement qu’elle n’est pas consentante.

Le consentement

Le paragraphe précédent est relié à celui-ci. June va aider Sapotille à dire non et à retrouver le chemin de son cœur et de sa détermination. Elles vont imprimer chez Panus le non= non. Rien absolument rien, aucun signe tacite n’existe derrière le non exprimé par une fille, même si elle le dit à voix basse. La question du consentement est également incarnée par Charly qui n’impose pas sa volonté hormonale à Sapotille. Le respect relationnel entre ces deux-là devrait se retrouver dans toutes les histoires destinées aux jeunes.

La tyrannie d’un système

Dans ce tome, nous explorons l’époque du Détournement de la magie après laquelle l’Académie naquit. Dans une métaphore liée à la magie, Audrey Alwett oppose la magie runique, codifiée par le pouvoir en place, à la magie intuitive, qui relève de la marginalité. On la vu, Charly doit cacher ses capacités pour éviter la condamnation par une société alors que ses règles font courir le peuple à sa perte. Je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler, mais le dénouement relatif aux pannes de magie s’intègre parfaitement dans ce questionnement entre des lois figées dans le temps et l’évolution que toute civilisation devrait connaître.

Le poids de la masse

Nous l’avons vécu, il y a peu avec la pandémie, le peuple se révolte peu devant des restrictions de plus en plus lourdes. D’autant plus quand seule une portion de la population la subit alors que les hautes instances semblent y échapper. Les pannes de magie entraînent des prises de décision qui limitent les libertés et le pouvoir des plus pauvres.

Invisibilisation des femmes

Oui, on en parle. Avec des personnages aussi emblématiques que Sapotille, June, Dame Mélisse, Dame Carasse et le retour de Césaria ! La romancière remet en équilibre la balance qui penchait en faveur des hommes. C’est ce que j’apprécie grandement avec cette série. Elle a beau avoir pour protagoniste un adolescent, les femmes y jouent un rôle important. En fait, aucun personnage ne fait office de potiche dans la résolution de l’intrigue. Pour en revenir, à l’invisibilisation des femmes, Audrey Alwett reprend ce que la majorité des civilisations ont fait en écrivant leur histoire : effacer celles sans qui peu ou rien ne serait arrivé tout en astiquant l’ego des mâles.

Encore bien d’autres

Je viens de faire le tour des thématiques essentielles (selon moi) de cette série riche prônant la tolérance et la construction d’une société meilleure. D’autres sujets ont également leur part du gâteau avec la tombée des préjugés vis-à-vis des Fouetteux, le poids du regard sur les personnes différentes, l’importance des liens familiaux de sang ou non, des liens amicaux, la manipulation de l’opinion par les grands de ce monde, l’importance de vivre ses émotions et la puissance des plus petits, car nous ne devons pas oublier…Pépouze ! Notre super serpillière. Oui, Audrey Alwett a le super pouvoir de nous rendre adorable une serpillière !

En bref, Magic Charly est une série jeunesse que l’on devrait placer entre les mains de tous les enfants pour les thèmes importants qu’elle exploite en profondeur. Sa lecture permettra sans aucun doute de vivre dans un monde où la tolérance et le respect de tout.es.x seront des comportements naturels.