Talisman de Gilles Debouverie

  • Titre : Talisman
  • Auteur : Gilles Debouverie
  • Éditeur : Livr’S Éditions
  • Catégorie : thriller horrifique

Au départ, je ne pensais pas craquer sur Talisman. Puis, j’ai lu un extrait lors des précommandes et… vous connaissez la suite.

Dunkham est une petite ville des États-Unis épargnée par les crimes malsains et les gros malfaiteurs jusqu’au quintuple meurtre dans la résidence d’un ancien flic. Les victimes ne sont autres que la famille venue enterrer leur parent. Carla Mendez, fraichement promue au rang de lieutenante, s’occupe de l’affaire. Sa rationalité sera ébranlée par l’évocation d’un objet trouvé dans le grenier par la seule rescapée de ce drame : un talisman.

Gilles Debouverie utilise l’alternance des points de vue pour raconter ce thriller fantastique. Un choix qui se révèle original, car l’un d’eux n’est autre que le talisman lui-même. Dorothy de son petit nom, emploie la narration en « tu ». Elle parle à la personne qui la porte autour de son cou. Elle décrit les scènes, ce qu’elle voit à travers ses yeux, les sensations qui animent le corps de ses victimes à la manière d’une petite déesse au pouvoir limité. Ainsi, l’auteur réussit à délayer des détails et à construire son univers sans que cela semble bizarre ou commun ou incohérent. J’ai d’ailleurs préféré ces chapitres-là à ceux de l’enquêtrice. En quelques paragraphes, Dorothy m’a séduite par son côté révolté et féministe, malgré la violence et ses penchants psychopathes, sa soif de sang. Sa personnalité s’avère même complexe et paradoxale. Elle prône des valeurs pures, mais jubile devant des crimes qui les touchent, telle une hystérique sur le point de rupture. Une âme qui franchit les limites à force d’être poussée par la rudesse et l’horreur de la vie et des hommes. Une proie qui devient le chasseur dans la peau duquel on s’infiltre en tant que spectateur. C’est glauque, ça fait froid dans le dos.

La seconde narration suit Carla Mendez et le fil de l’enquête dans laquelle elle a toujours une longueur de retard par rapport au talisman. On découvre un quotidien policier banal des séries américaines avec l’habituelle haine du FBI qui vient fourrer son nez dans l’affaire et dont l’agent va, bien entendu, se rapprocher de l’héroïne. Je précise tout de suite que cette relation ne figure pas dans le roman juste pour y mettre une partie de jambe en l’air. Elle a un impact sur le déroulement et la fin. Toutefois, je n’ai pas pu m’empêcher de lever les yeux au ciel devant cette ficelle scénaristique tant évidente dès le départ.

Carla est une femme indépendante et libertine qui n’a pas sa langue dans la poche et sait se faire respecter de ses collègues grâce à son efficacité. Malgré sa droiture qui paraît inébranlable, d’autres méthodes auraient été tout aussi appropriées pour tordre cette justicière. D’autant plus que le développement de la relation entre White (agent du FBI) et elle met passé au-dessus de la tête tant les ressorts sont vus et revus. Pourtant, j’ai apprécié le personnage de White. Il a beau avoir la pédanterie qui va avec son grade, sa répartie se mange comme du petit pain avec ce beurre à l’humour noir.   

En dépit de ses éléments qui ne siéent pas à mes goûts, j’ai avalé les pages avec rapidité. La plume de Gilles Debouverie se déguste avec délectation, surtout concernant les passages de Dorothy (j’aurai dû vérifier si elle n’était pas à mon cou). Il exploite les conséquences inhérentes au talisman de façon à engendrer des rebondissements inattendus qui nous amènent vers des profils et des vies différents, si bien que l’on a un vaste portrait des citoyens de Dunkham, à la manière d’une fresque sociétale qui témoigne des dérives à tous les étages de la société.

En bref, Talisman développe une intrigue intéressante basée sur une double narration dont l’une s’est révélée originale par l’utilisation du tu. J’ai totalement adoré pénétrer dans l’esprit machiavélique de Dorothy dont les valeurs féministes et antiracistes détonnent avec ces hôtes. Un mélange envoutant qui pardonne aisément la banalité du déroulement du récit côté enquête.  

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Alegría d’Alex Mauri

  • Titre : Alegría
  • Auteur : Alex Mauri
  • Éditeur : Livr’S Éditions
  • Catégorie : fantastique

Bruno adore la corrida. À l’une d’elles, il s’en prend à une militante qui s’est introduite avec ses compagnons dans l’arène pour empêcher le massacre des taureaux. Malgré sa violence, elle réussit à le maudire avec ses pouvoirs de médium. Bruno passe de l’autre côté de la muleta. Il devra combattre les hommes pour réintégrer son humanité.

Alegría c’est le genre de roman, défendant une valeur, qui pose une question : qu’est-ce qu’il va m’apporter quand on partage le point de vue de l’auteur ? La finalité, on la connaît dès le départ. On sait vers quoi il va nous amener : l’ouverture d’esprit du protagoniste, la révélation qui le fera basculer après l’expérience dans la peau d’un Toro.

Je n’ai pas lu ce livre pour me repaitre de la douleur de Bruno, l’horreur et les tortures qu’il va connaître. J’ai beau avoir mon côté psychopathe, je n’entre pas dans la catégorie des gens malsains qui prônent des idéaux et applaudissent la crucifixion des violents, des opposants. En fait, je ne saurais dire ce qui m’a attiré vers lui en dehors du thème et de la magnifique couverture exécutée par Aurélien Police ainsi que la valeur sûre qu’est Livr’S éditions pour moi. Je ne regrette pas ma lecture pour plusieurs points que je salue.

Non seulement l’auteur a fait un travail de documentation remarquable et globale qui se ressent avant même de lire la bibliographie à la fin. Il s’est renseigné autant chez, mais en plus, j’ai appris une chose qui m’a complètement scotchée : la corrida existe en France et celle-ci est légale. Croyant débarqué en Espagne, j’ai dû relire deux fois un passage qui donnait des indices sur la localisation de l’intrigue. Localisation enfoncée à coup de sabot dans mon esprit en relisant la loi retranscrite en note de bas de page.

Ensuite, le personnage de Bruno a écartelé mon cœur qui ne savait pas dans quelle direction aller tant Alex Mauri lui a insufflé une dualité paradoxale et, pourtant, si humaine. Bruno est procorrida à 200 %. Il idéalise le taureau en fier combattant qui meurt avec panache. Pour lui tradition justifie la violence alors qu’il considère celle sur d’autres animaux (exemple : les chiens) d’horrible. Chômeur depuis son burn-out et divorcé, il incarne le gars à la révolte introvertie. Il crache sur pas mal de monde, mais hoche la tête devant ces mêmes personnes. C’est le cas de son ex-belle famille chez qui il se rend pour l’anniversaire de son fils, Quentin. Il ne peut encadrer son beau-père qui se moque de ses employés qu’il écrase sans vergogne. Enfin, Bruno est un père incroyable. Ouvert d’esprit sur certains points, il se réjouit de la margnilité de Quentin. Il fait de la pâtisserie avec lui et prend soin de lui, le chéri, bref agit comme un papa devrait le faire. Vous comprendrez pourquoi j’ai eu des difficultés à voir en lui uniquement un connard vulgaire et pourfendeur de taureau. Son évolution m’a également clouée sur place, car l’écrivain évite la facilité et colle parfaitement à la mentalité de son protagoniste.

Alors que Bruno découvre l’envers du décor dans les élevages et l’arène, il reste orgueilleux. Aux portes de la mort, le rebelle introverti devient extraverti comme si la musculature et les cornes lui conféreaint la force et du courage. En mauvaise posture, il ne devient pas humble, il croit au contraire qu’il doit donner une bonne leçon à tous ces toreros de pacotilles.

La narration intrinsèque nous plonge dans son esprit, ses sentiments, ses constatations, ses frustrations, ses espoirs brisés, sa détermination. Vu qu’on suit Bruno, le style est brut, vulgaire, parfois violent, mais authentique. Les détails qui émaillent ce court roman sont juste saisissants. Ils colorent l’histoire tout en nous immergeant dans la brutalité de ce monde. J’ai particulièrement été impressionnée par la précision de la métamorphose. La description des sensations et des causes est chirurgicale. 

En bref, Alegría fait partie de ces livres dont on est sûr d’apprécier les thèmes défendus, mais dont la lecture subjugue par l’habilité et l’ingéniosité de l’auteur à aller au-delà des carcans habituels. De mélanger l’inmélangeable. De teinter de gris son protagoniste principal, là où d’autres n’osent franchir les limites de la pureté et la noirceur quand il s’agit d’idéaux à défendre.

Second Souffle de K. Sangil

  • Titre : Second Souffle
  • Autrice : K. Sangil
  • Éditeur : Nutty Sheep
  • Catégories : romance fantastique, vampires

Je vois déjà vos yeux écarquillés de surprise en lisant romance et vampire. Vos neurones sortir des tiroirs de la mémoire le fameux : “elle n’avait pas dit qu’elle n’aimait pas beaucoup ces deux genres ?”. Vous avez raison, mais je ne pouvais pas passer à côté de cet ouvrage écrit par ma collègue et amie K. Sangil dont j’ai déjà bêta-lu des nouvelles (dont celles de 11 Contes et légendes revisités et 10 destinées). Elle appartient à cette catégorie d’autrices dont la plume réussit à me tirer hors de ma zone de confort et à frayer avec l’en.. euh les créatures et les genres que j’apprécie le moins. Second Souffle m’a-t-il convaincu ? Voici ma réponse : 

À 16 ans, Eustenée Milesi embrasse son destin avec fierté et tristesse. Elle doit porter le dernier souffle du Premier Né vampire pour l’offrir à son successeur. Cette transmission de pouvoir suscite jalousie et avidité, car une partie des suceurs de sang déteste le Traité de Paix avec les sorcières et l’ombre dans laquelle leur condition les oblige à vivre auprès des humains. Sa rencontre avec le traqueur Lajos Walkil va bousculer sa vie et son cœur, pour le bien comme pour le pire. 

Le roman s’ouvre sur une lettre écrite par Ellura Milesi, la mère d’Eustenée. Elle plante la situation initiale et les enjeux de façon succincte et captivante à la fois. L’histoire se déroule en 1890 dans l’empire austro-hongrois dirigé par François-Joseph Ier. Vous savez l’époux de la femme la plus célèbre et tragique de ce pays : Sissi. Juste par la mention de cette duchesse et iméparitrice, je suis sûre que la scène vient de se dessiner d’un coup dans votre esprit : des châteaux, des bals, des robes somptueuses, des conspirations… 

C’est dans ce contexte que prend place la romance entre Eustenée et Lajos. La première partie du livre développe l’amour entre ces deux âmes tandis que la seconde nous plonge dans les complots liés à la révolte populaire qui secouent la Hongrie. J’avoue avoir eu un peu de mal à imbriquer certains passages, car ce morceau d’histoire que je ne connais pas est juste esquissé et sert surtout à renforcer le lien qui unit Eusténée et Lajos. J’aurais d’ailleurs aimé avoir plus de complots et de sournoiseries, mais je comprends qu’il ne s’agit pas d’un roman historique à la Ken Follet dans lequel les coups bas sont roi. Le genre principal est la romance et les fans de ce type littéraire ne seront pas déçus. 

K. Sangil a réussi à briser mon cœur de pierre grâce à l’émotion qu’elle insuffle dans les relations et interactions entre ses personnages. Et ce, même dans les scènes de sexe qui sont bestiales pour certaines. Un point m’a frappé dès les premières pages : l’esprit de famille qui unit Eustenée et ses parents. N’étant pas friande de récits vampiresque, je ne peux affirmer que cet aspect est original. Les férus vont peut-être lever les yeux aux ciels devant mes idées vieillottes et dépassées sur ces créatures. Je ne cache pas que hautains et sensuels sont les mots qui me viennent les premiers en tête pour les décrire. Dans Second souffle, Karey le père respire d’amour pour sa femme sorcière et sa fille. On ressent la chaleur et l’union de cette famille avec une force qui m’a fait fondre. Surtout quand on sait les épreuves que les parents ont dû endurer pour convaincre leur clan à cause de la guerre ancestrale entre vampires et sorcières.

À leur rencontre, Eustenée n’apprécie pas Lajos en raison de son attitude froide et rustre envers sa mère et elle. Du coup, je pensais avoir affaire à un ennemi to lovers. Cependant, ce passage m’a paru tellement rapide que je ne le glisserai que partiellement dans ce trope. Le couple devient inséparable en quelques pages, même si des problèmes surgissent dans leur idylle, notamment dus au statut particulier de Lajos et à ses préjugés. 

Ce chasseur solitaire ne se rend pas compte que certains de ses comportements peuvent engendrer des situations délicates. De plus, son dégoût des sorcières ne facilite pas les relations. Sa fidélité envers Karey, les souvenirs du Premier Né et l’amour qu’il porte à Eustenée vont l’aider à les surmonter à ouvrir la porte d’une nouvelle ère. 

En bref, Second souffle est une romance fantastique mettant en scène la puissance de ce sentiment qui vainc les différences raciales et  les ambitions personnelles d’individus peu recommandables. La plume captivante de l’autrice qui peint les émotions sans filtre m’a plongée dans ce récit flirtant avec l’histoire d’un pays que je connais peu. Même si elle manque de conspirations et faux-semblants pour pimenter les rebondissements à mon goût, elle fait parfaitement son job dans ce genre littéraire.

L’apprenti (Magic Charly, #1) d’Audrey Alwett

  • Titre : L’Apprenti (Magic Charly, #1)
  • Autrice : Audrey Alwett
  • Éditeur : Gallimard Jeunesse
  • Catégorie : Jeunesse, fantastique

Ayant entendu parler et lu plusieurs chroniques sur cette trilogie jeunesse, j’ai fini par craquer et me lancer dedans, sans regret !

Dame Mélisse, une puissante Magicière et grand-mère de Charly, rompt l’un de ses beignets de prédiction, puis s’évanouit dans la nature. Cinq ans après, elle est retrouvée affaiblie et amnésique. Son petit-fils se réapproprie la magie qu’il avait oubliée et découvre le monde auquel elle appartient. Aidé de Maître Lin et de Sapotille, son chemin l’amènera vers des révélations plus incongrues les unes que les autres, jusqu’à la raison inimaginable qui a poussé sa mamie à disparaitre.

L’univers élaboré par Audrey Alwett est à la fois simple, complexe et original. À chaque page, je m’imprégnais un peu plus de son monde gentil et cruel, lumineux et obscur où son imagination me prenait de cours par son mélange de mignonnerie et d’injustice. Magic Charly synthétise tous les aspects de la réalité et du merveilleux, et converge vers une révélation finale… inattendue de par sa nature. Je vais sciemment éviter de vous décrire la hiérarchie et le fonctionnement afin que vous découvriez tout comme il se doit, un peu comme Charly lorsqu’il entre dans ce monde. 

Au-delà de cet ouvrage fantastique, dans tous les sens du terme, j’ai adoré son inclusion, sa tolérance et sa bienveillance (si on omet les mésaventures de Charly et de Sapotille). Charly est un adolescent de 14 ans, tout ce qui est de plus banal. Pourtant, sa carrure alliée à sa couleur de peau inspire la méfiance et des regards obliques de la part des passants malgré sa gentillesse et sa bonté. Il avale ses pensées et émotions négatives dans ses poings. Devenu Patouilleur (apprenti), il prend soin de ne pas faire d’ombre à Parchemine/Sapotille dont le manque de confiance en ses propres capacités l’entraine à le méjuger. Leur duo va évoluer vers une amitié solide qui promet des étincelles dans les tomes suivants.

J’ai adoré Sapotille bien plus que la copine rebelle de Charly : June. Malgré ses faiblesses et son caractère hautain, la première possède une force de conviction et une graine de femme forte qui n’a besoin de personne pour la protéger. Elle va apprendre que, parfois, l’entraide peut s’avérer précieuse. June est la pote de Charly qui incarne l’essence de l’adolescence. Rebelle, elle se pose en opposition des règles établies par les adultes et adore les mauvais coups. En dépit de son sale caractère et de son côté envahissant, elle est fidèle en amitié. Charly peut compter sur elle.

L’histoire est servie par une plume usant des deux V : visuelle et vivante. L’écriture s’amuse avec les mots sans abuser des symboliques. Dosée avec amour telle une recette de Dame Mélisse, elle peint le monde de Magic Charly en un gâteau aux mille saveurs.

En bref, j’ai adoré L’apprenti au point de vouloir en parler pendant des heures tout en me retenant. La découverte de l’univers merveilleux d’Audrey Alwett m’a profondément émue, si bien que je ne souhaite pas vous gâcher cette expérience. En deux mots : Lisez-le !  

Éliott et la bibliothèque fabuleuse de Pascaline Nolot

  • Titre : Éliott et la bibliothèque fabuleuse
  • Autrice : Pascaline Nolot
  • Éditeur : Rageot
  • Catégories : jeunesse, fantastique

Après mon coup de cœur pour Rouge, c’est naturellement que je me suis penchée sur la bibliographie de Pascaline Nolot dont la plume m’avait envoutée. Mon choix s’est arrêté sur Éliott et la bibliothèque fabuleuse, un livre jeunesse promettant magie et dépassement de soi. Encore une fois, je n’ai pas été déçue par ma lecture.

Poursuivi par les sbires de l’infâme Charlie, Éliott se réfugie dans l’antre de la bibliothèque pour leur échapper. Fatigué par ce rituel postscolaire, il s’endort jusqu’à l’heure de fermeture. À son réveil, il surprend la vie secrète de l’endroit et l’existence de La Brigade des Rats de Bibliothèque, une société qui règle des problèmes propres au monde littéraire. L’affaire est portée devant le tribunal de l’organisation et l’enfant doit accomplir trois missions pour expier son crime. Lors de la première tâche, il rencontre L’indispensable guide de survie du souffre-douleur qui lui glisse à chaque fois entre les mains comme un savon mouillé. Or, il désire l’attraper et le lire à tout prix !

Dès l’ouverture du roman, l’autrice dessine le contexte de départ et les personnages avec brio. Elle introduit la magie en quelques pages avec naturel. La fluidité et le dynamise de sa plume colorée m’a de suite happée dans cette mise en bouche décrivant le quotidien horrible d’Éliott qu’elle contrebalance par des épisodes rocambolesques à croquer comme du chocolat. Dans Rouge, elle m’avait déjà épatée par son adaptation aux langages des villageois rustiques et anciens. Ici, elle use du champ lexical du monde littéraire pour métamorphoser ou employer des expressions qui respirent l’amour de la langue française et des livres. D’ailleurs, si l’univers emprunte le chemin des agents secrets, il n’y a aucune arme farfelue (mise à part peut-être les crayons-lasers), juste des bouquins qui nous sauvent en nous permettant de nous évader le temps d’une lecture et de nous prendre pour des héros.

Éliott est ravi de pouvoir vivre de folles aventures comme son héros favori, Georges Padenom. Ce petit garçon adore lire et désire échapper à la méchanceté de Charlie. Bien que la fuite constitue sa meilleure méthode, il n’est pas dénué de courage et n’hésite pas à sauter dans l’extraordinaire auprès de Caleb, bibliothécaire-rockeur le jour et directeur de la BRB le nuit, ainsi que l’intraitable Maaaow (M. Chat pour ceux qui sont incapables de prononcer son prénom correctement).

Inflexible sur le règlement, ce matou (directeur adjoint de la BRB) intente un procès à Éliott pour l’évincer en vain malgré l’avocat fantôme amnésique dont il l’affuble. Peu à peu, l’enfant découvrira les raisons de sa haine des humains. Derrière son côté impitoyable se cache un cœur droit qui déteste l’injustice.

Le thème principal du roman se centre sur le harcèlement scolaire qui touche les enfants, même à un jeune âge. Éliott n’a que dix ans ! L’écrivaine aborde la notion de honte que ressentent, non pas les bourreaux, mais les victimes. Une triste réalité. Ce sentiment qu’aucune victime de violence ne devrait subir ! Le comportement inadéquat des adultes est également évoqué : les œillères que les professeurs et les parents posent d’eux-mêmes, car les brimades et leurs conséquences doivent rester dissimulées sous prétexte que ça ternit la réputation de l’école pour les premiers et qu’il est impossible que la vie de sa progéniture soit aussi pourrie dans la vision des seconds. On imagine toujours que ça n’arrive qu’aux autres.

Vous l’aurez deviné, j’ai adoré ce livre. Si je devais vraiment lui trouver une faiblesse, ce serait l’absence de raisons derrière le comportement de Charlie. Globalement, on n’apprend pas grand-chose d’elle. Pourquoi est-elle si méchante ? Mystère. Ce choix reste compréhensible, car l’autrice a préféré se focaliser sur le pouvoir d’Éliott et de ses victimes qui se croient faibles alors qu’iels possèdent pourtant un courage, une force et une confiance insoupçonnés. Le pouvoir d’user des mots, de délier la parole pour retourner la situation en sa faveur. De faire soi-même le premier pas vers la liberté de vivre sans maltraitance. D’agir de telle façon que les autres, les spectateurs finissent par s’unir pour arrêter la machine de la violence qu’ils détestent aussi.

je ne suis pas magique : seuls les mots le sont…

En bref, Éliott et la bibliothèque fabuleuse est une pépite. Basé sur un thème tabou et malheureusement trop répandu, ce roman jeunesse fantastique désamorce cette bombe avec intelligence et brio. Il est à mettre dans beaucoup de petites mains pour montrer que l’espoir existe. Pas seulement dans l’imagination, mais aussi enfoui dans les tréfonds de nos cœurs.

Filles de Rouille de Gwendolyn Kiste

  • Titre : Filles de Rouille
  • Autrice : Gwendolyn Kiste
  • Éditeur : Éditions du Chat noir
  • Catégories : conte social, fantastique, horreur

Filles de Rouille intrigue par son titre et ensorcèle par sa couverture réalisée par Marcela Bolivar. L’illustration m’évoque un bûcher. Les fumées du haut fourneau et la ferraille consument les deux filles qui s’enlacent, car elles se comprennent mutuellement et se réconfortent face à l’expérience qu’elles vivent jusqu’au plus profond de leurs os. La couverture symbolise la destruction de l’avenir des jeunes filles des quartiers industriels que les pères et les mères étouffent dans un rôle.

La tour de l’usine métallurgique domine les rues de Cleveland où se déroule le récit. Ce roi expulsant les émanations toxiques sur ses larbins est sur le déclin. L’histoire du roman s’ouvre en 2008* sur le retour de Phoebe dans sa ville natale après vingt-huit ans pour aider sa mère à vider la maison de son enfance, car celle-ci va être démolie par une entreprise. Portant le poids du drame qui s’est joué l’été de son diplôme, elle rencontre Quinn, une fille sans futur, qui fait resurgir des souvenirs douloureux.

1980. Une vie nouvelle s’offrait à Phoebe qui allait enfin pouvoir étudier la biologie à l’université et, par-dessus tout, quitter ce maudit quartier qu’elle déteste. Elle espérait en profiter avec sa cousine et meilleure amie, Jacqueline, jusqu’à l’apparition d’une étrange maladie qui détériore les corps de Lisa, Helena, Violet, Dawn et la seule âme avec qui elle partage tout : Jacqueline.

Filles de Rouille est classé successivement sur la quatrième de couverture par la ME en Horreur, Mutation et Conte social. Personnellement, j’aurais inversé ces genres, car la partie horrifique (au-delà du fait que je sois insensible ou psychopathe, je vous laisse choisir) m’a paru quasiment sous-jacente. Certains épisodes de terreur, comme la vision de la chair découvrant les os rouillés et la maison hantée, apparaissent bien, mais leur fréquence reste faible. De plus, la narration se place du point de vue de Phoebe qui veut aider les filles, contre les hommes du gouvernement, les voyeurs malsains et les autochtones. Du coup, « ce qui fait peur » découle plutôt des comportements des habitants vis-à-vis des malades, ce qui relève plus d’un aspect social pour moi, au vu de la portée féministe du roman.

La métamorphose s’inscrit dans le body horror. Toutefois, les transformations ne m’ont nullement dégoutée ou effrayée (et là, je suis sûre que votre avis va pencher vers l’option psychopathe). Au contraire, les descriptions me donnaient l’impression d’être devant des œuvres belles et surtout symboliques qui renient l’étiquette de monstre. Cette « maladie » qui suinte l’eau croupie, modifie les ongles en verre et les os en métal rouillé, incarne à la fois la déchéance et la liberté.

La déchéance, c’est celle des filles des années 1980, qui ne peuvent exprimer, ni espérer, ni devenir, ni gérer leur vie de par leur statut de femme. Leur entourage les oblige à rester immobiles dans le moule conçu par la société. Destinée à y rouiller, à perdre leur humanité par l’abandon des rêves et de la joie.

Lisa subit les violences de son père alcoolique que personne n’ose ni affronter ni arrêter malgré les soupçons. Violet voulait étudier la photographie dans une école d’art, souhait piétiner par ses parents. Jacqueline jouit peu de liberté, car sa mère possessive surveille ses faits et gestes, en plus de détester Phoebe. Helena est la fille modèle du pasteur du quartier. Enfin, Dawn est la mère enfant. Elle a osé tomber enceinte avant son diplôme, il faut donc la remettre sur le droit chemin en décidant pour elle et son bébé.

Cinq filles, cinq portraits ancrés dans un contexte de crise sociale dû à la fermeture de l’usine. Ces images semblent lointaines, pourtant elles existent encore de nos jours. Leurs destins scellés par l’autorité parentale et le patriarcat qui régissent le rôle des femmes engendrent la déchéance de leurs corps qui reflète la dépression psychologique causée par leur quotidien. Cependant, elles ne se laissent pas abattre, car elles ne sont pas seules à subir la cruauté ordinaire. Elles se comprennent et se soutiennent tandis que les êtres aimants s’en détournent (sauf Phoebe). Grâce à leur différence exprimée par leurs mutations, elles trouvent la force de s’échapper. Où ? On ne sait pas trop, elles disparaissent tout en étant toujours là, notamment dans le cœur de Phoebe. L’unique chose qui est certaine : c’était leur propre choix ! Les Filles de Rouille ont transformé ce qui était perçu de prime abord comme un calvaire, une faiblesse, une horreur, pour se départir de ce monde crevé et malsain.

L’origine de ce mal, l’abnégation de la liberté féminine, Phoebe y échappe depuis des années. Elle est celle que l’on doit éviter de fréquenter. La fille à la mauvaise réputation : elle boit, sort avec des mecs, s’oppose aux bonnes mœurs et surtout, répond aux adultes ! Simple théorie de ma part : la narratrice n’est pas touchée par la maladie, car elle ne s’est jamais laissé enfermer dans un moule sur lequel on taperait des coups de marteau pour lisser les bosses imparfaites. D’ailleurs, elle est la première à vouloir aider, sauver les cinq filles, en commençant par Lisa. Ses tentatives vont empirer l’histoire. 

Cyniquement, la marginale se retrouve figée dans le passé. Il faudra attendre vingt-huit ans, sa rencontre avec Quinn et la fille de Dawn pour atteindre la rédemption. 

Si vous êtes arrivé.es jusqu’à ces lignes vous aurez compris l’intelligence et la richesse que je vois dans ce livre. Je dois vous avouer que ce roman ne m’a pas transporté en dépit de l’ensemble des aspects décrits plus haut. Je m’attendais à recevoir une claque après avoir lu des chroniques et grâce à son manteau féministe. L’alchimie n’a pas opéré.

J’ai trouvé le récit long, je m’attendais au fil des chapitres à connaître une montée en puissance, notamment par la révélation imminente du lourd secret de Phoebe, qui n’a pas eu l’effet escompté. Je ne me suis attachée à aucun personnage. Même pas à la narratrice qui endosse, pourtant dans sa jeunesse, mes caractéristiques préférées. Elle est marginale, déterminée, critique de la société humaine et altruiste jusqu’à un certain point. Sa manière de penser revêt une couleur pessimiste, même dans les épisodes du passé (sans doute parce que c’est la quarantenaire qui raconte l’histoire). Phoebe ne prend pas vraiment les armes (langages) pour défendre la cause féminine et les filles, sauf occasionnellement. J’ai, plutôt, eu l’impression de me retrouver devant une adolescente en pleine crise de rébellion qu’une personne qui se bat pour la liberté des femmes.

Je tiens à préciser que ce n’est pas incohérent. Phoebe vient d’atteindre l’âge adulte et les origines de la maladie, comme le traitement, sont incompréhensibles et insolvables même pour le gouvernement et les experts médicaux. Alors comment une jeune diplômée pourrait-elle combattre cette mutation ? Ce roman a beau être un conte, il s’intègre plus dans la réalité que l’on ne pourrait le penser.

Les cinq filles de rouille manquent de profondeur, de consistance. On n’a pas beaucoup de choses à se mettre sous la dent avant la transformation et on les côtoie peu après. Au fond, cela reste tout aussi logique que les réactions de Phoebe, car elles sont les marionnettes de leurs parents et de la société comme expliqué plus haut : leurs vraies personnalités sont étouffées.

La fin m’a parue un peu trop simple. Certains problèmes qui surgissent dans le présent sont réglés en une prière malgré les inconnues restantes. Cette facilité m’a surprise.

Enfin, la plume de Gwendolyn Kiste fait partie des causes de mon stoïcisme, mon impassibilité à la lecture du roman. Là encore, je m’attendais à autre chose, car j’avais lu l’extrait de Plumes et ciguë publié sur les réseaux sociaux des Éditions du chat noir. Ces quelques mots m’avaient émue, bouleversée. Ainsi, mes espérances s’avéraient trop élevées pour la découverte d’une nouvelle autrice dans ma bibliothèque. Pour en revenir au style de l’écrivaine, celui-ci est simple et reflète la dureté du contexte. Le pinceau du fatalisme et du pessimiste dépeint la réalité de Denton Street où rien ne va jusqu’au mobilier et à la vaisselle, si bien que tout paraît lourd à longueur de paragraphes. Certaines phrases sont magnifiquement tournées, car l’autrice emploie le champ lexical du milieu industriel pour décrire les émotions.

En bref, Filles de Rouille représente une fresque sociale d’un quartier en perdition dont les familles moroses se retrouvent démunies face à une maladie surnaturelle. Par les mutations, cette histoire dénonce les méfaits du patriarcat sur les femmes, issues du milieu ouvrier, qui se découvre une nouvelle force malgré les entraves. Cette œuvre symbolique mérite d’être lue, même si elle ne figure pas parmi mes meilleures lectures du genre.

*Dans le roman, il est noté 2018, ce qui est manifestement une coquille : Phoebe a 18 ans en 1980 et au premier chapitre, elle en a 46. Je vous laisse faire le calcul. 😉

Le codex de Paris (Paris des limbes, #1) de C.C. Mahon

  • Titre : Le Code de Paris (Paris des limbes, #1)
  • Autrice : C.C. Mahon
  • Éditeur : autoédition
  • Catégorie : fantastique

Quatrième lecture du partenariat avec Les plumes de l’imaginaire, Le codex de Paris est le premier tome de la série Paris des limbes dont l’intrigue prend place, je vous le donne dans le mille, la capitale française.

Germain Dupré possède un cabinet d’enquêteur dans la cave d’un bâtiment haussmannien et un secret que seul le gang de Mathieu connait : c’est un vampire. Lorsque Nadine Leroy lui demande de retrouver son mari qui s’est enfui avec un précieux codex, il ne s’attendait pas à renouer avec son passé, le moment où sa vie a basculé ni aux alliances qu’il se trouve contraint de signer.

L’autrice nous plonge illico presto dans l’ambiance des venelles sombres de Paris dès les premières lignes. Truand et désinvolture se mêlent grâce au choix précis des noms de rues, la façon de parler de notre vampire ou les termes dépeignant la mise en scène. Cette atmosphère laisse ensuite place à la rencontre légère et drôle entre Germain et sa copropriétaire, Romane. Le récit alterne entre ces deux mondes et m’a rappelé au début les histoires de détectives privés des années 1950, les cigarettes et le côté macho en moins. Comparaison qui s’arrête assez vite dans le déroulement.

En effet, si notre vampire se lance dans une enquête classique qui consiste à interroger l’associer du disparu, celle-ci avance par la suite grâce à la magie plutôt qu’à découverte d’indices, à la déduction et au flair du limier. Ensuite, les attaques-surprises prennent la relèvent pour aider le développement de l’histoire. Ainsi, Le codex de Paris n’est pas à considérer comme un polar surnaturel bien ficelé, mais bien un récit fantastique saupoudré de polar. Par ailleurs, l’objectif de Germain dévie rapidement de la cible de sa cliente, lorsqu’il apprend la nature du grimoire.

Le roman présente une belle dentition (désolée pour le jeu de mots de bas étage) de personnages principaux comme secondaires. Son assurance, Germain Dupré la doit aux siècles qu’il a traversés depuis sa métamorphose. La sagesse acquise au fil de ses (més)aventures lui permet de se fondre parmi les humains et d’éviter d’être démasqué. Cependant, la confiance en ses capacités lui a tout de même joué un tour et précipité dans les crocs du magnat de la drogue, Mathieu, dont il souhaite se libérer, tout comme il a réussi à bannir ses penchants de vampire grâce à l’avancée médicale. Oui, notre détective déteste plonger ses canines à la source pour épancher sa soif de sang et tuer les humains en raison de….Bon je ne vais pas trop en dire non plus.

De prime abord, Romane incarne l’étudiante joyeuse qui garde le courage d’avancer malgré la perte de ses parents. Yogiste et fervente protectrice des animaux, elle horripile et attendri Germain à la fois par son caractère rayonnant et sa solidarité. Néanmoins, tout soleil possède son ombre et celle de la jeune femme va se révéler plutôt inattendue dans ses conséquences. Son secret sera bien utile à notre vampire. Les actions de Romane vont prouver sa détermination et ses paroles justes dans ce monde qui induit un comportement paradoxal aux humains.

— Vous vous êtes associée à cette abomination en connaissance de cause ? s’exclama le frisé. Qu’êtes-vous ?

— Ouverte d’esprit, fit Romane.

Zagan est un démon superhéros. Bon OK pas totalement : il désire empêcher l’arrivée de l’apocalypse surtout pour préserver les Enfers. Le sauvetage de l’humanité n’est donc qu’une cause collatérale de la mission qu’il veut accomplir à tout prix. Pourtant, il reste honnête pour un démon. Je l’apprécie beaucoup, voir plus que Germain qui, en dépit des centaines d’années passées sur terre, garde une certaine naïveté envers les gens issus de la caste qu’il a fréquentés dans sa jeunesse.

Dans les personnages secondaires, je vais uniquement en évoquer deux. Sofia, la médium, car elle a une répartie incroyable. Je l’ai tout bonnement adorée et sa réserve, voire sa méfiance par rapport aux démons, ne m’a pas du tout rebutée. Chaton ! Ce matou qui s’échappe du sac de Romane et trouve refuge dans le bureau de Germain apparait peu et n’a pas un énorme impact dans cette histoire, mais…c’est un chat et je suis faible devant eux.

La plume de la romancière est fluide et colorée, comme déjà citée ci-dessus. Parfois, elle utilise trop de répétitions, mais cela ne m’a pas empêché d’apprécier ma lecture. Son humour est un véritable délice avec des répliques et des punchlines à tomber. De plus, elle va au fond des choses dans son récit, en transformant Germain en guide touristique de Paris, mais aussi en incluant un point qui m’est cher de par ma formation. En abordant le début de l’enquête sur le vol d’une antiquité, elle met l’accent sur l’importance de la conservation des objets d’art c’est-à-dire la régulation des conditions hydrothermiques du milieu afin que l’œuvre traverse le temps en ralentissant sa détérioration un maximum. Cela peut vous paraitre bête. Toutefois, c’est un élément qui m’a touchée, car trop de personnes pensent que la manière de manipuler ou de ranger un témoin du passé est sans importance.

En bref, Le codex de Paris fut une lecture divertissante. Si je m’attendais au départ à une enquête relevant plus de la recherche d’indices qui nous emmènerait dans les tréfonds de la magie, je n’ai, pourtant, pas été déçue du voyage grâce aux personnages nuancés qui amènent des visions justes et réelles de notre existence qui ne repose pas toujours sur la belle logique que notre société nous dépeint. La ligne entre le bien et le mal est plus floue que l’on ne le pense, et les choix sont souvent bien plus difficiles que cette simple question manichéenne.   

Rouge de Pascaline Nolot

  • Titre : Rouge
  • Autrice : Pascaline Nolot
  • Éditeur : Gulf Stream
  • Catégories : fantasy, relecture de conte

Rouge est le premier livre qui a capté mon attention lors de la Foire du Livre de Bruxelles de 2020 avec sa couverture sombre, mystérieuse et couleur sang. Les quelques mots échangés avec l’autrice m’ont convaincue de céder à la tentation. 

Malombre ne souhaite qu’une seule chose : se débarrasser de Rouge en même temps que la malédiction qui pèse sur ses habitants. Treize ans auparavant, l’union malsaine de sa mère avec le Diable a attiré l’œil de la sorcière des bois surnommée Grand-Mère. Le village doit envoyer toutes les filles au moment où elles subissent leur première règle. Attendant les menstrues de l’impure avec impatience, les villageois.es espèrent annuler la malédiction grâce à son sacrifice.

Cette réécriture du conte du Petit Chaperon rouge reprend en les remodelant l’ensemble des aspects de la sorcière d’autrefois (celles qu’on menait au bûcher) dans un récit dépeignant l’horreur dans ce qu’elle a de plus humaine. Le contexte est planté au sein d’un petit village isolé entre montagne inhospitalière et bois maudits où la population se raccroche à la parole divine et craint ce qu’elle ne comprend pas. Les villageois.es rejettent la pauvre enfant, car la progéniture féminine d’une folle impie ne peut qu’être mauvaise également, surtout avec cette preuve étalée sur sa face depuis sa naissance, n’est-ce pas ? Cette malheureuse tache de vin qu’elle arbore sur la moitié de son visage et cette boursoufflure à l’arcade sourcilière sont indéniablement les conséquences de sa filiation avec Satan. La peur et la laideur justifient ainsi, à leurs yeux, leurs actes et paroles abjectes à l’encontre de Rouge.

Après les cinquante premières pages qui dessinent l’environnement si réel et authentique de notre passé, une déferlante d’émotions m’a enchainée au roman jusqu’au plus profond de la nuit. Tour à tour, j’ai ressenti la solidarité, le dégoût, l’espoir, la peur, la tristesse, la haine. J’ai eu envie de refermer le livre pour effacer l’horreur des hommes, pour stopper ces êtres dont le seul pouvoir consiste à se voiler la face pour fuir leurs propres responsabilités, qui s’érigent en victime, pire en sauveur, alors qu’ils sont coupables et bourreaux.

Pascaline Nolot retrace les comportements les plus d’atroces. Elle brosse une réalité horrible, puis nous entraine de plus en plus dans les abysses obscurs des cœurs et des esprits tortueux dans un récit aux thèmes forts. Orpheline de mère, Rouge est également rejetée par son père. Malgré ses mots odieux (il n’ose pas la toucher de peur de voir sa peau rougir et être maudit), elle recherche le lien d’amour que seuls des parents offrent à leur enfant. Elle désire être reconnue.

La puberté comme synonyme de perte de l’innocence se retrouve au cœur du roman également. Elle marque le départ des filles vers l’antre de la sorcière, mais aussi l’apparition des loups pour les accompagner vers leur destin, au figuré comme au propre, car le danger ne revêt pas toujours une fourrure grise. Rouge va l’apprendre à ses dépens. Encore heureux, les brimades qu’elle subit depuis sa naissance l’ont rendue moins naïve que les autres gamin.es.  

L’autrice aborde l’indépendance des femmes. Celles qui vivent en marge de la société tout en étant décriées par la populace, car elles dérangent par leurs connaissances. D’ailleurs, Malombre n’éduque pas ses filles. Seuls les garçons accèdent à l’école du Père François qui aimerait enseigner à leur camarade afin de « les préserver du vice », mais qui n’ose pas en raison du sentiment de domination qu’elles ressentiraient. À comprendre qu’elle se prendrait pour l’égal des hommes.

Ce roman riche aborde l’importance de la beauté à travers le personnage de Rouge et Liénor qui incarne respectivement la laideur du malin et la grâce angélique. Les deux enfants sont amis en dépit des récriminations de la mère du second qui craint de perdre le dernier membre de sa famille. Le garçon se retrouve ainsi tiraillé entre son amitié pour Rouge et l’amour pour sa maman. Un autre personnage subit les affres de cette notion de beauté, mais je n’en dirais pas plus pour ne pas tout dévoiler.

Enfin, je vais clôturer cette section par le cercle vicieux autoalimenté par l’homme lui-même. L’anxiété inhibe le bon sens qui disparait lorsque vous côtoyez toujours les mêmes personnes qui vont dans le même sens que vous. Malombre connaît peu de sang neuf depuis l’apparition de la malédiction, de ce fait, les conversations ne sont pas alimentées par de nouvelles visions du monde qui permettent de voir autrement. Les villageois nourrissent donc eux-mêmes les pires craintes à chaque affliction, sans prendre en compte que la sorcière n’y est pas forcément pour quelque chose. Le diable s’incarne aussi parmi les hommes qui deviennent acteurs de leur propre malheur.

Je vais déroger à mon habitude de dépeindre les personnages et leurs caractéristiques, car je l’ai déjà fait en filigrane dans la description des thèmes et que je souhaite avant tout mettre l’accent sur eux. En effet, les protagonistes sont intrinsèquement liés à eux, ils agissent en parfaite adéquation pour en faire un récit fort et extrêmement bien ficelé.

Pascaline Nolot déploie une narration de conteuse à la plume poétique et ténébreuse. Son écriture est à la fois simple et élaborée par le choix des termes qui démontrent un vocabulaire riche et une verve qui correspond à l’esprit de l’époque, notamment par l’utilisation des sobriquets. Elle emploie des mots justes, accrocheurs et terribles dans les sombres révélations qui éclatent au cours des pages alternant présent et passé.

En bref, Rouge est une œuvre magistrale s’inspirant du Petit Chaperon rouge pour dépeindre la triste réalité de notre passé de femmes. Une réalité qui persiste de nos jours par le jugement sur le physique et la violence ordinaire que nous subissons encore, si bien que je ne qualifierais pas ce roman de conte de fées horrifique, mais presque de récit historique saupoudré de fantasy, car la magie revêtait un manteau véridique et tangible à l’époque de Malombre.  

Mortal Song de Megan Crewe

  • Titre : Mortal Song
  • Autrice : Megan Crewe
  • Éditeur : Éditions du chat noir
  • Catégorie : fantastique

Une couverture aux couleurs douces. Le rose des fleurs de cerisiers entourant une montagne représentant le mont Fuji. Une illustration qui n’a pu que m’attirer l’œil lors de la Foire du Livre de Bruxelles en 2020.

À l’aube de son dix-septième anniversaire, le monde de Sora bascule. Une armée de fantômes à la solde du démon Omori envahit le mont Fuji sur lequel elle habite depuis sa plus tendre enfance. À l’aide de son protecteur Takeo, elle s’enfuit vers la vallée de Rin la Sage afin de délivrer la montagne et ses parents. L’adolescente apprend que sa vie entière est un mensonge. Elle n’est qu’une simple humaine échangée avec la vraie princesse. Sora et Takeo partent à sa recherche pour accomplir la prophétie.

L’histoire nous plonge dans l’univers des divinités japonaises nommées Kami, situé dans un temps contemporain du nôtre. L’autrice élabore des règles autour de leurs pouvoirs conférés par le ki. Une source d’énergie puissante qui peut toutefois se tarir sous les coups des armes blanches et à feux. Ainsi, aucun dieu n’est immortel ou imbattable. Ils s’avèrent juste plus résistants que les humains et possèdent des ressources pour contrer les fantômes et les démons.

Confrontée à la réalité, Sora va devoir apprendre à vivre avec ses faiblesses de mortelle, car elle absorbait le ki du mont Fuji, qu’elle quittait rarement, et de son amie Midori, une libellule. Il s’agit du cœur de ce récit : accepter ce que l’on est, connaître ses propres limites et, surtout, transformer ses défauts en force. La vérité sur la condition de sa naissance fut un choc pour l’adolescente au point qu’elle la nie jusqu’à sa rencontre avec Chiyo, la princesse de la montagne, dont l’énergie brille tellement qu’elle attire naturellement les gens autour d’elle. Sora se bat avec ses nouveaux sentiments. La peine ressentie par l’abandon de ses parents biologiques ainsi que la peur du rejet de ceux qu’on aime et de l’avenir.

Au cours de leurs péripéties, elle se connecte à son corps, apprivoise son cœur volatile et découvre un nouveau pouvoir : celui des émotions. Les divinités ne ressentent pas autant que les humains. Ils se définissent par un sentiment général auquel ils sont réduits. Ainsi, Takeo est loyal tandis que Chiyo possède une positivité inébranlable. Ils dévient rarement de leur caractéristique et cet aspect me les a rendus inintéressants. Je n’ai accroché ni à l’un ni à l’autre en raison de cette immuabilité. En plus, ils sont traités comme des personnages tertiaires. On n’apprend rien d’eux. Cependant, ce choix reste cohérent vu que l’héroïne reste Sora qui est également la narratrice interne du roman, et le récit se base sur les sentiments humains.

L’amour, l’émotion la plus forte parmi les mortels, se retrouve d’ailleurs au cœur de l’histoire et en devient même un pouvoir plus puissant que le ki. Un moteur de haine, comme de lucidité et de courage. En cela, Megan Crewe a réussi à élaborer un roman solide et bien ficelé sur les raisons de l’action des fantômes et les conséquences de leurs actes.

Parmi les nombreux personnages, j’ai beaucoup aimé Keiji. Cet adolescent marginal qui adore le surnaturel et se jette dans l’aventure, excité de découvrir enfin ce qu’il étudie depuis longtemps. Dès les premières interactions avec Sora et les autres, il se révèle complexe et nuancé. Un vrai humain en somme ! Haru, le petit ami de Chiyo, m’a également plus dans la seconde partie du texte par son ouverture d’esprit. Ultra-protecteur et guerrier dans l’âme (il est au club de kendo), il représentait le mâle prêt à en découdre dès qu’on s’approche un peu trop de sa dulcinée, comme si elle ne savait pas se défendre toute seule. Quand elle se révèle bien plus forte, son amour ne fluctue pas et ses paroles montrent une maturité rassurante qui fait plaisir à voir pour ce type de protagoniste masculin que l’on pense au départ dominateur. 

Le roman est porté par une plume simple. Fluide et rythmée dans les scènes de combat, elle ne m’a pourtant pas immergée à chaque fois dans le récit en dépit de la narration à la première personne du singulier. Je me suis demandé si seule l’écriture en était la raison, car Sora devient en partie, spectatrice du sauvetage du mont Fuji. Par moment, elle prend du recul quand elle ne sent plus à sa place, comme si elle enfilait le costume du personnage secondaire, avant de se ressaisir en s’impliquant. C’est peut-être cela qui m’a fait décrocher à certains instants, mais je pense que la manière de développer le récit, de voguer entre action et introspection, et la nature des kami, plus des faiblesses de vocabulaire, ont également joué. 

En bref, Mortal Song est une histoire sympathique mettant en scène une héroïne qui se relève d’une crise identitaire en se confrontant à ses émotions pour en faire une force. Il nous plonge dans le folklore nippon entre tradition et modernité. Si cette lecture ne m’a pas emballée, notamment au niveau des personnages divins et de la plume, j’ai tout de même apprécié l’orchestration et l’arrangement des thèmes : le dépassement de soi, trouver sa propre voie et le pouvoir de l’amour en tant que source de bien et de mal. 

L’âme perdue (Le Livre des Âmes, #3) de Sylvie Ginestet

  • Titre : L’âme perdue (Le Livre des Âmes, #3)
  • Autrice : Sylvie Ginestet
  • Éditeur : Livr’S Editions
  • Catégorie : fantastique

Avec l’approche d’Halloween, j’ai eu envie de me plonger à nouveau dans l’univers de Sylvie Ginestet avec le troisième tome du Livre des Âmes. La dernière page s’est tournée en me laissant un goût doux-amer sur le cœur.  

John est un employé modèle sans histoire. Pourtant, sa vie bascule en même temps que la rambarde du toit de l’immeuble de son boulot. Sur le chemin de la lumière, il se fait happer par une force dans les limbes où il fera la rencontre de la mystérieuse et incroyable Sophie qui refuse de quitter cette terre mortifère sans avoir accompli une tâche qui lui tient à cœur. La Mort part à sa rescousse, mais il trouvera sur son chemin les sbires de Victus.

Avec ce nouveau volet, l’autrice nous emmène visiter une partie de l’au-delà. Les limbes sont constitués d’âmes en décomposition qui engendrent une atmosphère horrifique et pestilentielle. Dans ce monde composé de différentes strates, les défunts peuvent subir la souffrance, ou pire devenir la cible du maître des lieux. On découvre également l’emplacement et le but de la Tour sombre.

Je n’ai pas accroché à ce tome qui m’a semblé manquer de profondeur. Parlons d’abord de l’antagoniste. Victus était un soldat qui a combattu durant la bataille de Poitiers. Il domine à présent les limbes et en veut à la Mort. Ces deux lignes résument ce que l’on apprend au cours de ce troisième opus. Pendant ma lecture, diverses questions m’ont traversé l’esprit sans trouver de réponse : pourquoi l’âme de Victus est-elle si pervertie ? Comment a-t-il fait pour s’approprier cette terre hostile ? D’où lui vient cette puissance qui l’a aidé à la conquérir ? Pourquoi la Mort ne peut-elle pas le vaincre ? Ainsi, Victus revêt la cape de méchant, mais le squelette qui la porte ne possède ni chaire, ni muscle ou encore ni peau dont les tatouages et les cicatrices nuanceraient le personnage.

Le deuxième élément qui m’a chiffonnée concerne la Mort et ses faiblesses mentionnées par l’écrivaine. L’histoire se déroule d’une telle manière que celles-ci me paraissent bien dérisoires par rapport à la puissance de la Mort. J’ai ressenti plus son infaillibilité que ses déficiences. Du coup, les combats n’amènent pas de tension ou de suspense. La seule partie du récit qui en dégage tourne autour de la figure de Sophie et de son secret jusqu’à ce que celui-ci soit dévoilé.

L’âme perdue est censé représenter un moment charnière dans la relation entre la Mort et Bethany. La première l’entraine avec elle dans les limbes qui ébranlent sa petite main préférée. La réalité dont elle devient la témoin doit la faire évoluer. Personnellement, je n’ai pas ressenti l’évolution de Bethany, car elle ne traverse pas d’épreuves en tant que telles. Son maître la protège même en l’envoyant sur une autre mission. Ainsi, les changements évoqués par Sylvie Ginestet ne m’ont pas paru palpables.

Enfin, je n’ai pas saisi l’importance de Josh pour la Mort. Certes, il s’agit d’une âme volée par Victus, déviée du chemin vers l’au-delà et le paradis, mais il s’avère que l’impact de son enlèvement décrit au début ne trouve pas de raison valable au fil de la lecture. Je n’ai vraiment pas compris pourquoi la Mort doit absolument retrouver Josh et le sauver. L’évocation de la pureté de son âme ne me satisfait pas comme explication, car à la fin du livre, je n’ai pas eu l’impression qu’il était si différent des autres âmes perdues.

En bref, L’âme perdue est une lecture en demi-teinte. J’ai aimé retrouver La Mort et Bethany ainsi que découvrir le paysage morbide des Limbes, mais je n’ai pas adhéré au développement de l’histoire qui m’a paru trop léger et manquant de nuances en ce qui concerne l’antagoniste. J’espère que le quatrième tome sera meilleur.