The 8 List de Pierre Léauté

  • Titre : The 8 List
  • Auteur : Pierre Léauté
  • Éditeur : Les Éditions de l’Homme sans nom
  • Catégorie : science-fiction

Dans notre société, les réseaux sociaux ont un impact important sur le bien-être. C’est un fait avéré dont il faut combattre les effets néfastes. Les livres peuvent avoir le pouvoir de témoigner de cette évidence, de bouleverser les lecteur.ices afin de mettre en marche une riposte. The 8 list se base sur cette haine propagée par les RS. Une discussion avec l’auteur à la Foire du Livre de Bruxelles m’a convaincu de sauter le pas grâce à un élément qui n’a pourtant rien à voir avec le sujet : l’origine du protagoniste.

Dans un monde où le sourire et la bonne humeur constituent la base des réseaux sociaux émergeant, Thomas désapprouve cette façade. Pour lui, l’humain reste un animal haineux et il compte bien en profiter. Afin de créer The 8 list, il plaque son boulot chez FraTech et sa petite amie, Karen, qui n’est autre que la fille de son patron. Il entraîne dans cette spirale ascendante, son meilleur ami Josh. Était-il prêt aux conséquences de son ambition ?

L’un des points que j’aimerais développer ici concerne la catégorisation de ce roman. Celui-ci nous est vendu comme une science-fiction couplée d’un thriller cynique et prophétique. Je vais contrebalancer ces étiquettes. Si The 8 list était sorti au début du siècle, ou du moins lors des balbutiements des RS, j’aurais été d’accord avec l’appellation de prophétie et de SF.

Afin d’expliquer mon propos, détaillons la structure. L’histoire est découpée en huit gros chapitres portant le prénom d’une personne liée à Thomas. Le plan reprend celui de l’application qui consister à lister les huit personnes que l’on déteste le plus de façon décroissante. Le roman débute avec le dernier chiffre. Nous remontons donc la liste vers la personne qui a décroché la première place du podium dans la vie de son concepteur. Au sein de ces chapitres, nous voguons entre le présent et le passé de Thomas. Ainsi, nous parcourons l’histoire de l’informatique de son entrée dans les foyers (les années 80s) jusqu’en 2023.

À travers The 8 List, Pierre Léauté retrace les événements qui se sont succédé depuis la création des premiers RS en utilisant l’application comme justificatif. Celle-ci aurait pu s’appeler Facebook, Twitter, Instagram… Son fonctionnement a beau être différent de ceux-ci, elle s’y apparente. L’auteur ne crée pas un monde alternatif où son application aurait des impacts précis (si ce n’est un serial killer dont les actes sont vite étouffés dans le propos du récit). Celle-ci n’est qu’un substitut pour ne pas nommer les réseaux de notre monde. De ce fait, il élabore plus une analyse, une étude critique de notre société à travers la parole cynique de Thomas. Il ne s’agit donc pas d’une réelle science-fiction vu que la manipulation des données et les effets négatifs des RS existants sont déjà connus. C’est plus une peinture de la société actuelle décrite à travers les yeux de son fondateur : un nouveau milliardaire. On pourrait presque appeler ce roman de la hard sociologie tant les explications sur le comportement des gens sont nombreuses.

Cet essai sur la haine numérique et les comportements associés ont atténué l’aspect thriller. J’ai trouvé le début bien plus glaçant et interpellant que la suite. Thomas est un informaticien de génie. C’est aussi un sale type qui possède un sacré culot. Son ambition est sans limites. Il n’hésite pas à utiliser sans scrupule son entourage pour arriver à ses fins.  Il les met devant les faits accomplis de la plus horrible des manières. C’est aussi un maniaque du contrôle qui a une trop grande confiance en lui, ce qui lui donne un côté naïf sur certains points.

« La paix ? On n’a jamais fait fortune avec la paix ».

Il a beau être détestable, Thomas a un côté magnétique. On ne peut s’empêcher de l’écouter, de le lire, car sans incarner les plus belles vertus au monde, il nuance le monde à coup de gris. Il dévoile l’ombre derrière la lumière. Il propulse sur le devant de la scène les comportements paradoxaux des militants par exemple. Thomas ne croit pas en la bonté humaine qui n’est que l’artifice pour dissimuler l’hypocrisie. L’humain possède dans son ADN la haine et devrait laisser s’exprimer le besoin de vengeance qui coule dans ses veines. C’est ainsi qu’il va créer  The 8 list et qu’il va construire sa fortune dessus.

Le postulat de départ : un informaticien pauvre à la terrifiante ambition disparaît à mesure que sa société devient prospère. Si certains aspects restent horribles, le statut de big boss semble entraver sa marche de manœuvre. Dès qu’un problème surgit, il le balance à sa secrétaire ou à ses partenaires. Tout semble facile pour lui. Le pouvoir permet d’écraser les soucis et Thomas se place plus comme le commentateur de la vie quotidienne sur Internet, ce qui pilonne le suspense.

Étant déjà sensibilisée aux sujets que Thomas dénonce, je lisais ces parties comme un documentaire ou un livre de non-fiction. J’ai ressenti de l’émotion uniquement dans les flash-back à un certain point du récit.

Issu d’une famille bruxelloise qui a débarqué lors des vagues d’immigration italienne, Thomas n’a pas eu une enfance facile. Cela n’excuse pas son caractère actuel, mais cette plongée dans son passé permet de comprendre comment il a été façonné et ça contrebalance l’image noire que j’ai eue de lui, surtout que ces passages se sont révélés plus vivants, dynamiques et palpables que le présent devenu trop analytique.

On y découvre un gamin curieux à la vue des ordinateurs qui est rejeté par ses camarades d’école. Harcèlement, grossophobie et racisme nourrissent une enfance où la violence s’invite également sous d’autres formes. Des comportements problématiques dont son application contribuera à intensifier l’essor ainsi que celui de l’homophobie.

Thomas se présente comme un antihéros complexe dont la haine nourrit des liens malsains, même avec ses proches. Je n’ai pas du tout apprécié sa relation avec Karen dont la soif de liberté s’efface devant cet homme. D’ailleurs, elle surgit peu dans le roman, comme effacée.

La plume de Pierre Léauté délie cette étude à coups de vocabulaire informatique, de formules parfois alambiquées et de métaphores originales qui dépeint l’esprit savant de Thomas. Je n’ai pas été rebutée par l’absence de lexique pour les termes précis, car mon parcours m’a permis d’en connaître la plupart. J’ai juste dû vérifier dans Google à quoi correspondaient les premiers ordinateurs qu’il mentionne, car j’aime visualiser correctement les objets du passé. Enfin, ami francophone, des expressions bruxelloises parsèment les flash-back à mon plus grand bonheur. Comme annoncé dans l’intro, l’origine du protagoniste à contribuer à mon craquage pour ce livre. Je ne suis pas chauvine (je vous rassure, car je ne suis pas Bruxelloise), j’apprécie juste de quitter les habituels lieux surutilisés dans les romans. Même si Londres et la Silicon Valley servent majoritairement de décor, les incursions belges sont les bienvenues pour colorer autrement ce récit.

En bref, ma lecture de The 8 List s’est avérée moins spectaculaire que prévu en raison de ma sensibilisation aux sujets traités et à la façon dont Pierre Léauté l’intègre à son roman. Oubliant l’aspect science-fiction, il retrace l’évolution d’Internet et des RS en dénonçant l’impact néfaste au cours de l’histoire de ces deux dernières décennies. Malgré un protagoniste terrifiant par son ambition au début du récit, le suspense laisse place à une étude sociétale qui lui confère un aspect plus documentaire que thriller. Si mon avis est mitigé, je pense qu’il serait intéressant de décortiquer ce livre dans les écoles secondaires.

2 commentaires sur “The 8 List de Pierre Léauté

    1. Ce livre est plutôt spécial en effet. Après c’est aussi selon la sensibilité de chacun.e. On ne réagit pas tout.es de la même manière 🙂

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