- Titre : Lullaby
- Autrice : Cécile Guillot
- Éditeur : Éditions du Chat noir
- Catégorie : fantastique
Je me suis procuré la novella Lullaby lors de la Foire du Livre de Bruxelles en 2023 où l’autrice me l’a gentiment dédicacée à mon prénom et à celui de ma maman avec qui je partage ma passion des livres.
États-Unis, années 20.
Hazel aime écrire des histoires horrifiques et rêve de devenir romancière. Son cœur bat pour sa jolie voisine, Blanche. Mais quand ses parents découvrent ses diverses inclinations, ils s’en indignent et décident de la faire interner à Montrose Asylum.
Là-bas, elle rencontre la fougueuse Jo et la fragile Lulla. Toutes les trois vont suivre la mystérieuse berceuse qui s’élève la nuit, les menant au sein d’un jardin abandonné…
Lullaby expose les concepts que j’aime. Il dénonce les abus patriarcaux et les comportements anormaux envers les femmes qui ne rentrent pas dans le moule. Les années 1920s pendant lesquelles se déroule l’intrigue de cette novella sont un choix d’autant plus judicieux que cette décennie symbolise l’une des ruptures avec le modèle instauré (ou devrais-je dire imposé ?) au XIXe siècle. Cette période d’essor industrielle et de changements de régime politique a été dévastatrice pour la condition de la femme qu’on enferme entre les murs du foyer, la mode les étouffant dans des corsets et les immobilisant dans des robes inconfortables. Je n’évoque pas ici des dames issues de la classe ouvrière, car Lullaby place son contexte dans le monde des riches.
Hazel provient d’une famille aisée dont les traditions lui pèsent. Aventureuse et créative, elle écrit des histoires d’horreur et rêve de devenir romancière. En totale contradiction avec ses parents qui ne la considère que comme une poule pondeuse gardée dans l’ombre de son futur mari. Alors que l’émancipation féminine revendique des droits, les cheveux courts et habillée des tenues pratiques, ils symbolisent le rejet de la modernité libératrice des années 1920s. On ne peine pas à imaginer la souffrance et la rébellion qui couve entre les lèvres scellées d’Hazel. Une jeune femme dont la lecture de son carnet va l’enfermer. Apprenant les penchants de leur fille, devenue monstre à leurs yeux, les parents l’envoient à Montrose Asylum.
Cette novella n’est pas ma première incursion dans le monde des asiles pour femme. Des documentaires sur Nellie Bly et cette pauvre Rose Marie Kennedy (la sœur du président américain) m’ont renseignée sur les horreurs perpétrées envers les femmes, pour la majorité saine d’esprit que les hommes veulent purifier ! Des femmes brisées et amenées vers la folie ou l’état de légume après des traitements que l’on ne peut qualifier autrement que de tortures. Les asiles incarnent la perfidie masculine qui a réussi à détourner le système pour continuer ses féminicides et assouvir sa dominance. Si les bûchers ont été interdits, les hommes ont trouvé le moyen légal de poursuivre leur vilenie sous couvert médical. Le mot hystérique remplaçant celui de sorcière.
Plusieurs des méthodes cruelles sont évoquées et certaines sont légèrement décrites dans Lullaby sans pour autant verser dans le voyeurisme. Cécile Guillot dénonce ces tortures avec justesse et en évitant d’enlever la dignité des femmes qui les subissent. Elles sont victimes et en même temps héroïnes.
Hazel rencontre Joséphine Foley incarcérée, car elle milite pour les droits des femmes. À son contact, Hazel se sent à la fois comprise et honteuse en raison de son ignorance sur les combats menés pour l’égalité, elle qui pensait pouvoir trouver un travail et en vivre sans aucun souci. Sa candeur morcelée par le traitement de ses parents va encore en prendre un coup. Une amitié profonde naît entre les jeunes femmes rejointes par une certaine Lulla.
Un soir, le trio est réveillé par une berceuse entonnée par un spectre du passé. Il découvre un jardin secret dans un couloir désaffecté. Un monstre y rôde. Entre rêve et cauchemar, Hazel doit démêler le vrai du faux pour éviter de sombrer dans la folie. J’ai adoré la manière dans l’autrice insère le fantastique dans la réalité brute et cruelle.
Si les personnages ne sont pas développés à fond, l’histoire reste accrocheuse par ses thématiques et la dynamique engendrer par le format court. La romancière emploie des citations de Renée Vivien pour illustrer les sentiments amoureux d’Hazel, renforçant son lien avec le monde des livres, l’écriture étant un véritable exutoire pour la jeune femme. N’étant pas du tout fan de poésie, je ne connaissais pas cette poétesse, parlant de son amour pour une femme, sur laquelle Cécile Guillot lève le voile. Une manière de contrer l’invisibilisation des femmes menaçantes par leur créativité et de rajouter une case à cocher sur la liste des combats féministes.
En bref, j’ai adoré Lullaby. Malgré un manque de profondeur chez les personnages dû au format court, la mise en scène des dénonciations des pratiques psychiatriques et médicales des asiles destinés aux femmes qui brisent les chaînes imposées par les hommes est percutante. Les épisodes s’enchaînent sans accro et nous plongent dans cette démence où la révolte ne se bat pas à armes égales avec la domination masculine. L’imagination s’allie à l’émancipation pour survivre à la cruauté patriarcale.