Lullaby de Cécile Guillot

  • Titre : Lullaby
  • Autrice : Cécile Guillot
  • Éditeur : Éditions du Chat noir
  • Catégorie : fantastique

Je me suis procuré la novella Lullaby lors de la Foire du Livre de Bruxelles en 2023 où l’autrice me l’a gentiment dédicacée à mon prénom et à celui de ma maman avec qui je partage ma passion des livres.

États-Unis, années 20.

Hazel aime écrire des histoires horrifiques et rêve de devenir romancière. Son cœur bat pour sa jolie voisine, Blanche. Mais quand ses parents découvrent ses diverses inclinations, ils s’en indignent et décident de la faire interner à Montrose Asylum.

Là-bas, elle rencontre la fougueuse Jo et la fragile Lulla. Toutes les trois vont suivre la mystérieuse berceuse qui s’élève la nuit, les menant au sein d’un jardin abandonné…

Lullaby expose les concepts que j’aime. Il dénonce les abus patriarcaux et les comportements anormaux envers les femmes qui ne rentrent pas dans le moule. Les années 1920s pendant lesquelles se déroule l’intrigue de cette novella sont un choix d’autant plus judicieux que cette décennie symbolise l’une des ruptures avec le modèle instauré (ou devrais-je dire imposé ?) au XIXe siècle. Cette période d’essor industrielle et de changements de régime politique a été dévastatrice pour la condition de la femme qu’on enferme entre les murs du foyer, la mode les étouffant dans des corsets et les immobilisant dans des robes inconfortables. Je n’évoque pas ici des dames issues de la classe ouvrière, car Lullaby place son contexte dans le monde des riches.

Hazel provient d’une famille aisée dont les traditions lui pèsent. Aventureuse et créative, elle écrit des histoires d’horreur et rêve de devenir romancière. En totale contradiction avec ses parents qui ne la considère que comme une poule pondeuse gardée dans l’ombre de son futur mari. Alors que l’émancipation féminine revendique des droits, les cheveux courts et habillée des tenues pratiques, ils symbolisent le rejet de la modernité libératrice des années 1920s. On ne peine pas à imaginer la souffrance et la rébellion qui couve entre les lèvres scellées d’Hazel. Une jeune femme dont la lecture de son carnet va l’enfermer. Apprenant les penchants de leur fille, devenue monstre à leurs yeux, les parents l’envoient à Montrose Asylum.

Cette novella n’est pas ma première incursion dans le monde des asiles pour femme. Des documentaires sur Nellie Bly et cette pauvre Rose Marie Kennedy (la sœur du président américain) m’ont renseignée sur les horreurs perpétrées envers les femmes, pour la majorité saine d’esprit que les hommes veulent purifier ! Des femmes brisées et amenées vers la folie ou l’état de légume après des traitements que l’on ne peut qualifier autrement que de tortures. Les asiles incarnent la perfidie masculine qui a réussi à détourner le système pour continuer ses féminicides et assouvir sa dominance. Si les bûchers ont été interdits, les hommes ont trouvé le moyen légal de poursuivre leur vilenie sous couvert médical. Le mot hystérique remplaçant celui de sorcière.

Plusieurs des méthodes cruelles sont évoquées et certaines sont légèrement décrites dans Lullaby sans pour autant verser dans le voyeurisme. Cécile Guillot dénonce ces tortures avec justesse et en évitant d’enlever la dignité des femmes qui les subissent. Elles sont victimes et en même temps héroïnes.

Hazel rencontre Joséphine Foley incarcérée, car elle milite pour les droits des femmes. À son contact, Hazel se sent à la fois comprise et honteuse en raison de son ignorance sur les combats menés pour l’égalité, elle qui pensait pouvoir trouver un travail et en vivre sans aucun souci. Sa candeur morcelée par le traitement de ses parents va encore en prendre un coup. Une amitié profonde naît entre les jeunes femmes rejointes par une certaine Lulla.

Un soir, le trio est réveillé par une berceuse entonnée par un spectre du passé. Il découvre un jardin secret dans un couloir désaffecté. Un monstre y rôde. Entre rêve et cauchemar, Hazel doit démêler le vrai du faux pour éviter de sombrer dans la folie. J’ai adoré la manière dans l’autrice insère le fantastique dans la réalité brute et cruelle.

Si les personnages ne sont pas développés à fond, l’histoire reste accrocheuse par ses thématiques et la dynamique engendrer par le format court. La romancière emploie des citations de Renée Vivien pour illustrer les sentiments amoureux d’Hazel, renforçant son lien avec le monde des livres, l’écriture étant un véritable exutoire pour la jeune femme. N’étant pas du tout fan de poésie, je ne connaissais pas cette poétesse, parlant de son amour pour une femme, sur laquelle Cécile Guillot lève le voile. Une manière de contrer l’invisibilisation des femmes menaçantes par leur créativité et de rajouter une case à cocher sur la liste des combats féministes.

En bref, j’ai adoré Lullaby. Malgré un manque de profondeur chez les personnages dû au format court, la mise en scène des dénonciations des pratiques psychiatriques et médicales des asiles destinés aux femmes qui brisent les chaînes imposées par les hommes est percutante. Les épisodes s’enchaînent sans accro et nous plongent dans cette démence où la révolte ne se bat pas à armes égales avec la domination masculine. L’imagination s’allie à l’émancipation pour survivre à la cruauté patriarcale.

Les brumes affamées de Dawn Kurtagich

  • Titre : Les brumes affamées
  • Autrice : Dawn Kurtagich
  • Éditeur : Les éditions du Chat noir
  • Catégorie : horreur fantastique

J’ai lu Les brumes affamées dans le cadre du PAC 2023 (Automne rayonnant. L’esprit indomptable de Jo March). Ayant apprécié The Dead House, j’ai profité des promotions aux Éditions du Chat noir pour me le procurer. Les thématiques sur la sorcellerie et le féminisme ont bien entendu joué un rôle important dans ce choix et la sélection du roman dans le PAC.

De nos jours. Zoey, obsédée depuis toujours par les ruines de Mill House qui semblent avoir un lien avec l’amnésie de son père, fugue avec son meilleur ami pour y mener l’enquête. Sur place, des événements étranges les font douter. Sont-ils seuls ? En danger ? D’autant plus que personne ne sait qu’ils sont ici…

1851. Roan emménage à Mill House pour y vivre avec son nouveau tuteur après le décès de son père. Elle y fait la rencontre d’autres orphelins. Mais quand elle comprend qu’elle est liée à un ancien secret, elle décide de s’échapper avant qu’il ne soit trop tard… Avant que les brumes ne se referment complètement autour du manoir.

1583. Hermione, jeune mariée, accompagne son époux dans les terres sauvages du nord du Pays de Galles où il a prévu de construire une maison et un moulin à eau. Mais bientôt, des rumeurs concernant des rituels démoniaques se propagent…

3 femmes, 3 époques différentes, toutes liées par un Pacte impie. Un pacte signé par un homme qui, plus de mille ans plus tard, est peut-être encore là…

Nous suivons les trois protagonistes de façon inégale. Alors qu’on aurait pu penser lire une enquête du présent sur les événements passés, c’est le fil de Roan qui a le plus d’ampleur dans le roman (qui, au passage, a fait l’objet d’un magnifique travail éditorial autour du texte et en interaction avec celui-ci). Endeuillée par la perte de son père, elle se rend à Mill House pour y rejoindre son nouveau tuteur : le Dr Maudley. Elle y rencontre sur place les autres pupilles : Emma, Seamus et Rapley. Alors que le brouillard se lève, rendant la montagne de plus en plus austère à leur fuite, d’étranges phénomènes se produisent.

Nous découvrons une femme déterminée, intelligente qui porte le poids d’un passé incohérent. Élevée dans une bonne famille, elle est fière et bien éduquée. Cependant, elle ne supporte ni le corset qui l’empêche de respirer ni la crinoline qui lui sert de cage et elle le montre à plusieurs reprises avec dignité. Si ces répliques sont délicieuses, Emma la surpasse par son franc-parler de campagnarde dont les manières n’entravent pas la langue. J’ai apprécié dès le départ l’Irlandaise pour sa simplicité et son tempérament.

Zoey est séparée de son père atteint d’Alzheimer. Elle se lance sur les traces de son dernier voyage avec la fervente conviction que Mill House détient la clé du problème. Car sa maladie n’est pas naturelle. Elle est obnubilée par sa quête. L’adolescente raconte son récit via trois médiums qui rendent ses chapitres dynamiques et à double perception. Le journal intime nous livre ses pensées brutes et la manière dont elle a vécu les épisodes du récit. La vidéo quant à elle nous permet de prendre du recul sur Poulton et les personnages qui gravitent autour de Zoey grâce à la neutralité de la narration. Lorsqu’elle est séparée de son ami, le SMS fait son entrée. J’ai été subjuguée par l’habilité de l’autrice à utiliser les messages. En quelques mots (dans les premiers chapitres consacrés à Zoey), elle marque l’attachement et construit la relation de ses deux personnages avec brio. On voit direct à quel point ils sont proches. Elle arrive également à développer une tension lors des échanges.

Enfin, Hermione apparaît ci et là à travers une page de son journal qui raconte son quotidien peu amène de jeune mariée. Une union qui l’emporte sur le sommet d’une montagne d’ardoise à cause du rêve fou de son époux.

Ces trois fils se rejoignent au cours d’une histoire plus atmosphérique que structurée. L’image de la brume est en ce point favorable à décrire cette sensation. Elle brouille la vision, une partie est visible, on bouge et hop, on voit autre chose qui ne semble pas avoir de lien avec la précédente. C’est l’impression que la succession des scènes au sein de l’acte de Roan m’a donnée. Le mystère et l’ambiance prennent le pas sur le lien entre les épisodes. Les transitions sont parfois saccadées, incertaines. On doute, on se questionne. La folie n’emporte pas que les protagonistes. Elle nous pousse à tourner les pages pour connaître le dénouement telle une fièvre démoniaque. Elle a été le moteur de mon intérêt vu que je n’ai pas été particulièrement touchée par les personnages principaux.

En bref, Les brumes affamées nous conte le récit de trois femmes issues d’époque différente malmenées par la folie, la crainte et la haine. Ce roman atmosphérique mêle des figures féminines fortes qui se débattent contre le mal et contre elle-même. Je regrette juste de ne pas m’être attachée à elles.  

La petite boutique aux poisons de Sarah Penner

  • Titre : La petite boutique aux poisons
  • Autrice : Sarah Penner
  • Éditeur : Faubourg-Marigny
  • Catégorie : Historique

Je n’avais pas encore terminé Les bras de Morphée de Yann Bécu lorsque j’ai commencé La petite boutique aux poisons de Sarah Penner. Vu que je me rendais à Namur avec l’intention de gravir la citadelle, je ne souhaitais pas transporter un livre papier en plus de mon ravitaillement. Mon choix s’est donc porté sur cette lecture acquise lors de l’Op all stars de 2022. J’avais profité pour le prendre à petit prix, car j’ai de plus en plus de difficultés à apprécier les productions anglo-saxonnes dont la profondeur des personnages et de l’intrigue me semble trop souvent bâclée. Adorant les histoires de poisons et de femmes qui vivent en marge de la société, j’ai été ravie par ce roman qui est mon coup de cœur de l’année 2023.

Règle 1 : le poison ne doit jamais être utilisé pour blesser ou tuer une autre femme.
Règle 2 : le nom de la meurtrière et celui de sa victime doivent être notés dans les registres de l’apothicairerie.

Lors d’une froide soirée de février 1791, à l’arrière d’une sombre ruelle londonienne, dans sa boutique d’apothicaire, Nella attend sa prochaine cliente.

Autrefois guérisseuse respectée, Nella utilise maintenant ses connaissances dans un but beaucoup plus sombre : elle vend des poisons parfaitement « déguisés » à des femmes désespérées, qui veulent tuer les hommes qui les empêchent de vivre. Mais sa nouvelle cliente s’avère être une jeune fille de 12 ans, Eliza Fanning.

Une amitié improbable va naître entre elles, et entraîner une cascade d’événements qui risquent d’exposer toutes les femmes dont le nom est inscrit dans le registre de Nella…

De nos jours à Londres, Caroline Parcewell passe seule son dixième anniversaire de mariage, encore sous le choc de l’infidélité de son mari.

Lorsqu’elle découvre sur les bords de la Tamise une vieille fiole d’apothicaire, elle ne peut s’empêcher de faire des recherches et va découvrir une affaire qui a hanté Londres deux siècles auparavant : « L’apothicaire tueuse en série ».

Et alors qu’elle poursuit ses investigations, la vie de Caroline va heurter celles de Nella et d’Eliza. Et tout le monde n’y survivra pas…

Avant toute chose, j’aimerais saluer le travail de la traductrice Laura Bourgeois qui explicite ces choix dans une préface dont les mots de l’éditeur se targuant d’avoir anticipé le succès du roman m’avaient fait d’abord lever les yeux au ciel. En effet, elle témoigne de son professionnalisme et de la cohérence de son travail vis-à-vis du mot apothicairesse en prenant en compte le personnage qui l’emploie ou non. Si vous me suivez depuis un moment, vous connaissez mon amour pour le soin apporté à la féminisation des mots et notamment des métiers. Des termes féminins qui existaient auparavant, effacés du vocabulaire par des mâles bestiaux pensant assouvir leur domination sur nous de cette manière. Leur résurgence est importante et je suis d’autant plus charmée quand ceux-ci sont utilisés dans les romans, les articles et la parole.

« Les idéaux d’une médecine pour ces messieurs n’étaient d’ailleurs pas alignés avec ceux de ma mère. Elle plaçait sa foi dans les remèdes à l’efficacité prouvée de la terre fertile et douce, et pas dans les diagrammes des livres étudiés par des savants à lunettes et à l’haleine de brandy »

Nous suivons trois destins liés par la douleur perpétrée par…. Je vous le donne dans le mille, les hommes. Ces souffrances sont multiples, variées et possèdent toutes le goût de la trahison. Peu importe le statut, peu importe l’époque dans laquelle elles vivent, les mêmes blessures se répètent.

« Le chagrin est partagé par toutes et n’épargne aucune femme, peu importe son rang. »

Le livre s’ouvre sur notre apothicairesse, Nella. Elle vit dans l’ombre de l’ancienne boutique de sa mère, car elle a choisi un chemin interdit. Elle prépare des poisons pour venger les femmes, les sauver des comportements patriarcaux de ses messieurs. Pour rendre justice dans un monde qui n’en a rien à faire en dépit de l’horreur des crimes perpétrés. Nella combat le poison par le poison. Un venin se propageant dans la société et ne s’attaquant qu’aux femmes. Les histoires relatées dans ce récit sont terrifiantes par leur réalisme et leur banalité. La perfidie masculine dépasse la simple tromperie, elle dévoile la puissance qu’ils se sont octroyée par la force et les lois. On pourrait croire que notre empoisonneuse est froide, impassible devant les concoctions qu’elle conçoit nuit après nuit. La culpabilité et les gestes répétitifs la broient. Comme la solitude à laquelle ce métier la contraint. Pourtant, elle ne s’arrête pas. Elle continue en dépit de la douleur articulaire et mentale. Quand un mauvais pressentiment la tenaille en lisant la lettre d’Eliza, Nella ne renonce pas et son destin bascule.

Eliza est une enfant de douze ans. Un âge charnière qui apporte son lot de malheurs. Poussée par sa mère, elle a quitté la campagne pour devenir domestique à la capitale. Des rumeurs de fantômes courent les couloirs et la rendent nerveuse au point qu’elle croira en la magie. Eliza symbolise l’innocence tachetée. Celle des enfants ciblés par la vilenie, ce démon qui souhaite goûter à leur chair. Mandée par sa maîtresse, Eliza comprend l’importance de sa mission sans pour autant en saisir toutes les raisons. Elle est fascinée par le monde qu’elle découvre. Sa curiosité n’est cependant pas malsaine, car elle appréhende la gravité des actes de Nella et de Madame. Eliza va apporter autant de bonheurs que de malheurs dans le cœur de l’apothicairesse.

Délaissons les ruelles sordides du XVIIIe siècle pour rejoindre l’actuel Londres où Caroline déprime. Au cours des premiers chapitres qui lui sont consacrés, j’ai eu des difficultés à l’apprécier. Elle incarne le type de personnage qui me donne envie de le secouer. Épouse loyale à son mari, elle a déposé ses valises dans la capitale de l’Angleterre sans lui après la découverte de sa fourberie. Elle se morfond sur elle-même et témoigne de son incapacité à vivre sans James. Heureusement, ce séjour deviendra introspectif pour le meilleur grâce à une petite fiole bleue gravée d’un ours. Invitée par un parfait inconnu à fouiller les berges de la Tamise (le Mudlarking), elle va renouer avec son ancienne existence. Celle où les rêves lui insufflaient la vie avant qu’une corde lui soit passée au cou et l’étrangle, la métamorphosant en zombie. Je sais, j’ai une idée particulièrement charmante du mariage. Cette image reflète avec exactitude l’histoire de Caroline. Une passion tuée par la manipulation, un feu flamboyant éteint par la domination. Je pense ne pas devoir m’étaler dessus. Vous aurez compris que je déteste son mari. Avant même son apparition en chair et en os, je le haïssais de toute mon âme. Ses actes passés comme présents témoignent de la folie masculine engendrée par le sentiment d’impunité dont les hommes jouissent depuis des siècles.

Heureusement, Caroline va renaître en marchant sur les traces de Nella. Un lien se tisse entre ses femmes et j’aime imaginer que notre apothicairesse a ce pouvoir magique de guérir au-delà du temps. Son enquête va lui permettre de rencontrer Gaynor, chercheuse à la bibliothèque. J’ai adoré la relation bienveillante entre les deux femmes, toutes les deux passionnées. Gaynor n’hésite pas à aider Caroline même dans les situations qui rendraient tout le monde méfiant et générerait un comportement de protection envers soi-même. Leur collaboration témoigne également d’une notion importante :  

L’invisibilisation des femmes. Non contents de les écraser de leur vivant, les hommes se sont assurés d’effacer toutes traces de leurs innovations, de leurs écrits et de leurs existences dans l’Histoire. La méthodologie employée par Gaynor et Caroline prouve la difficulté de marcher sur les traces de Nella. Quand on sait qu’elle est à la source d’une série de morts, c’est plutôt cocasse ! À force de nous diminuer, ils ont protégé du bûcher une « sorcière ».

En bref, La petite boutique aux poisons expose à merveille le thème de l’invisibilisation des femmes. Poignant, percutant et criant de vérité, ce livre respire la sororité. Cet amour indestructible entre les femmes du passé, du présent et du futur qui se battent ensemble contre les impunités, même sans le savoir, pour briser les chaînes du patriarcat. Je me suis sentie liée à Nella, à Eliza et à Caroline au point de sentir au fond de mes tripes leur désir de justice et d’indépendance.

La Pelle de l’Imaginaire

  • Titre : La Pelle de l’Imaginaire
  • Autrices : Lyly Ford, Cécile Ama Courtois, Virgnie T., Mariann Helens, Eva de Kerlan, Florina L’Irlandaise, C. C. Mahon
  • Éditeur : Auto-édition
  • Catégorie : nouvelles

À l’approche d’Halloween, les Plumes de l’Imaginaire ont sévi à nouveau en sortant une deuxième anthologie. Cette fois-ci, elles ont choisi un outil de circonstance. Qui dit veille de la Toussaint, dit cimetière. Et quoi de mieux qu’une bonne pelle pour déterrer les mots afin de les aligner pour créer des histoires fabuleuses ? Je remercie les Plumes pour leur confiance.

La Pelle de l’Imaginaire met en scène cet outil sans pour autant nous entraîner uniquement entre les tombes. D’ailleurs, la vieille amie du fossoyeur n’est pas la seule à apparaître. Après tout, il existe plus de sortes de pelles que celle qui nous vient à l’esprit. Le recueil nous fait tour à tour passer dans les genres du thriller, de l’horreur, de la fantasy et d’urban fantasy. Certaines autrices telles Florina l’Irlandaise et C. C. Mahon explorent leur univers déjà paru. N’ayez crainte, ces nouvelles peuvent se lire indépendamment. Et si vous hésitiez à vous lancer dans leurs œuvres, pourquoi ne pas justement essayer cet ouvrage ? Cela ferait une belle entrée en matière. Surtout qu’il y en a pour tous les goûts : enquête, magie, violence, espoir, trahison, rédemption, humour, légende et féminisme.

A Pelle Moi de Lyly Ford

Une comptine s’élève dans le jardin. Enfantine, réconfortante, et puis, c’est le choc. En un couplet, on comprend à qui ou plutôt à quoi on a affaire. J’ai adoré la narration et son point de vue original. On suit une psychopathe qui use de charme et de violence dans un récit horrifique à la fois brusque, sensuel et léger. L’écriture est rythmée et fluide. On se laisse bercer par l’appel malgré le bain de sang. Ne cherchez pas de moral à cette histoire ni de thème. Ce n’est qu’un pur concentré de mal, d’impureté et de puissance qui nous amène pourtant vers une Happy Ending. Mais pour qui ? Je vous laisse le découvrir.

La Pelle de la Forêt de Cécile Ama Courtois

Dans cette nouvelle, on retrouve l’amour de l’autrice pour la forêt, la musique et la fantasy. Meredith est avide de réaliser son rêve. Elle veut devenir magesse ducale à la cour d’Armadail. La première étape pour y arriver s’avère ardue, puis étonnante. Pourtant, cette épreuve n’est rien comparée à ce qui l’attend.

Cécile Ama Courtois construit un univers bien ficelé dont les règles sont utilisées à fond. Entendez par là que les lois magiques ne servent pas de jolis pots de fleurs décoratifs. Elle montre par là, l’assiduité qu’elle apporte pour un court texte. Chose dont je ne doutais point pour avoir lu quasiment toute sa bibliographie. Elle travaille toujours avec un soin pointilleux le world building et ses personnages afin de transmettre des messages importants. Dans un style dynamique, virevoltant et intense, elle nous rappelle de ne pas nous fier aux apparences. 

Enquête à la Pelle de Virginie T.

Asty désire son indépendance. Elle exergue que ses parents traqueurs de démon la surprotègent. Dans cet univers d’Urban Fantasy, les policiers demandent de l’aide aux êtres surnaturels pour résoudre des crimes étranges. En se rendant compte de la négligence des hommes de loi par rapport à une affaire, la jeune femme se met en tête de s’en occuper. Georges, son coéquipier fantomatique, la suit à contrecœur par peur, mais avec douceur. J’ai adoré cette aventure palpitante et ce duo atypique où humour et amour se mêlent. En plus, il paraît qu’on va bientôt les retrouver !

Le Croquemort de Bentsonville de Mariann Helens

Nous plongeons dans un récit teinté de western. Sarah est croquemort à Bentsonville. Lorsque les villageois commencent à voir des revenants, elle est pointée du doigt. Le Shérif vient la confronter dans son antre. Mauvaise idée. Les secrets ne meurent pas six pieds sous terre.

Ce récit met en scène la force des femmes qui s’unissent contre l’orgueil masculin. La misogynie n’a qu’à bien se tenir. Les terres sacrées amérindiennes ne s’allient jamais avec les êtres sans scrupules.

Le Paradis à la Pelle d’Eva de Kerlan

L’autrice nous propose une délicieuse comédie où un fantôme fraîchement démoulé se retrouve embrigadé dans une drôle d’affaire. Déboussolé par sa mort précoce, Eden rencontre Phinéas qui lui explique comment atteindre le paradis, et Diane, une chasseuse de démon autoritaire, mais juste, qui va lui ouvrir les yeux sur son mentor défectueux.

Ce récit risque de vous faire mourir de rire tant les situations sont cocasses et la naïveté d’Eden est affolante. J’ai passé un excellent moment à les suivre tous les trois. D’autant plus que la fin est délectable et inattendue.

Opération Panthère et Pelles de Florina L’Irlandaise

Cette nouvelle est issue de la duologie d’urban fantasy Daemonius. À la recherche de son frère maléfique, Socrate est coincé dans le corps d’un chat noir. Sa condition l’oblige à rester auprès de Skylar qui tient la Librairie des Anges qui se trouve au bord du gouffre à cause d’une erreur de sa gérante. Le félin endosse le rôle de sauveur à son grand dam. Dans un melting pot de mythologie biblique, celtique et japonaise, Florina L’Irlandaise rend femmage à ses coautrices au-delà du simple clin d’œil.

De Cendre et d’Espoir de C. C. Mahon

La romancière nous invite dans un manoir vivant où rôdent l’ordre et la propreté. Astrid veille au grain, plumeau et pelle en main. Lorsque des intrus saccagent les pièces une à une sans qu’aucun meuble ne les remarque le doute l’assaille. Toutefois, elle ne renonce pas à les dénicher. J’ai adoré cette plongée dans le monde féérique ou la magie n’est pas la seule force. Je n’ai pas encore lu le tome de la série Paris des Limbes où Astrid apparaît. Je compte bien y remédier !

Justice soit faites ! (Magic Charly, #3)

  • Titre : Justice soit faites ! (Magic Charly, #3)
  • Autrice : Audrey Alwett     
  • Éditeur : Gallimard Jeunesse
  • Catégories : jeunesse, fantasy

En début d’année, j’ai inscrit mes séries en cours sur Livr’Addict qui propose un outil utile pour suivre l’avancée (ou pas) des sagas qu’on lit. Autant dire que le chiffre commençait à me faire pâlir, au point de doucement penser à ajouter un objectif à mon challenge de cette année : finir ou rattraper la sortie d’un max de série. C’est dans cet état d’esprit que je me suis emparée du dernier tome de Magic Charly. Comme d’habitude, ne lisez pas mon avis sans avoir parcouru les précédents tomes. Étant un livre jeunesse, je vais entrer dans les détails pour expliquer pourquoi on devrait le mettre entre les mains de nos ados et enfants.

Disparu de Thadam, Charly doit retrouver le chemin vers son monde. En parallèle, Sapotille, Césaria et June se préparent à combattre le Juge Dendelion qui profite des pannes de magie pour abuser de son pouvoir. Une course contre la montre commence pour sauver la magie et les magiciens.

Ce tome clôture une série jeunesse intéressante par les thématiques abordées ou incarnées par les personnages. De mon point de vue, je préfère largement le premier opus qui nous fait entrer dans ce monde à la fois merveilleux et impitoyable imaginé par Audrey Alwett. En effet, le récit du troisième tome se déroule selon un rythme similaire au second livre : lent la majeure partie du bouquin avec une accélération du tempo vers la fin. Je n’ai pas ressenti de suspenses intense ni vécu de rebondissements incroyables. L’histoire suit son cours comme un fleuve sans trop de remous jusqu’à l’embouchure vers la mer.

Pourtant, il est primordial de glisser cette série entre les mains des jeunes en raison des sujets bienveillants, dénonciateurs et tolérants dont elle regorge. Jusqu’à présent, je n’en avais jamais lu qui intégrait autant d’aspects défendus dans notre société de façon entière. Souvent, je rencontre seulement un ou deux thèmes exploités en profondeur. Faisons-en le tour !

La Justice

Indiquée dans le titre de ce troisième tome, la Justice est questionnée sous le personnage du Juge Dendelion devenu l’Allégorie de la Justice et les actions que nos jeunes amis vont devoir poser pour sauver le monde. Je salue l’effort d’Audrey Alwett de proposer une réponse à ce concept abstrait caractérisé par des cas particuliers. L’exercice est déjà difficile pour les adultes, alors l’expliquer aux enfants relève presque de l’exploit, d’autant plus que notre subjectivité et notre éducation entrent toujours en compte. J’ai apprécié la solution qu’elle a trouvée ainsi que son réalisme qui évite une fin à la Bisounours.

Sapotille et la métaphore du viol

Oui, vous avez bien lu. Dans Bienvenue à Saint-Fouettard, le Juge avait agressé Sapotille en arrachant les pages de son grimoire. Pour rappel, le grimoire n’est pas qu’un simple outil où s’inscrivent les connaissances dela magicien.ne, c’est une part d’iel. Y toucher, c’est pénétrer son intimité. Si le sujet avait été traité en surface dans le précédent tome, l’autrice lui rend justice ici avec la reconstruction de Sapotille. Celle-ci est déstabilisée. Elle ne sait plus ce qu’elle veut, car elle subit la pression de la société patriarcale et des idées reçues que l’acte du Juge a engendrées. J’ai ressenti un grand malaise en lisant les passages où Panus la domine et se permet de la toucher et de l’embrasser sous couvert qu’elle serait une fille facile et qu’elle ne dit pas non avec autorité, alors que son comportement indique clairement qu’elle n’est pas consentante.

Le consentement

Le paragraphe précédent est relié à celui-ci. June va aider Sapotille à dire non et à retrouver le chemin de son cœur et de sa détermination. Elles vont imprimer chez Panus le non= non. Rien absolument rien, aucun signe tacite n’existe derrière le non exprimé par une fille, même si elle le dit à voix basse. La question du consentement est également incarnée par Charly qui n’impose pas sa volonté hormonale à Sapotille. Le respect relationnel entre ces deux-là devrait se retrouver dans toutes les histoires destinées aux jeunes.

La tyrannie d’un système

Dans ce tome, nous explorons l’époque du Détournement de la magie après laquelle l’Académie naquit. Dans une métaphore liée à la magie, Audrey Alwett oppose la magie runique, codifiée par le pouvoir en place, à la magie intuitive, qui relève de la marginalité. On la vu, Charly doit cacher ses capacités pour éviter la condamnation par une société alors que ses règles font courir le peuple à sa perte. Je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler, mais le dénouement relatif aux pannes de magie s’intègre parfaitement dans ce questionnement entre des lois figées dans le temps et l’évolution que toute civilisation devrait connaître.

Le poids de la masse

Nous l’avons vécu, il y a peu avec la pandémie, le peuple se révolte peu devant des restrictions de plus en plus lourdes. D’autant plus quand seule une portion de la population la subit alors que les hautes instances semblent y échapper. Les pannes de magie entraînent des prises de décision qui limitent les libertés et le pouvoir des plus pauvres.

Invisibilisation des femmes

Oui, on en parle. Avec des personnages aussi emblématiques que Sapotille, June, Dame Mélisse, Dame Carasse et le retour de Césaria ! La romancière remet en équilibre la balance qui penchait en faveur des hommes. C’est ce que j’apprécie grandement avec cette série. Elle a beau avoir pour protagoniste un adolescent, les femmes y jouent un rôle important. En fait, aucun personnage ne fait office de potiche dans la résolution de l’intrigue. Pour en revenir, à l’invisibilisation des femmes, Audrey Alwett reprend ce que la majorité des civilisations ont fait en écrivant leur histoire : effacer celles sans qui peu ou rien ne serait arrivé tout en astiquant l’ego des mâles.

Encore bien d’autres

Je viens de faire le tour des thématiques essentielles (selon moi) de cette série riche prônant la tolérance et la construction d’une société meilleure. D’autres sujets ont également leur part du gâteau avec la tombée des préjugés vis-à-vis des Fouetteux, le poids du regard sur les personnes différentes, l’importance des liens familiaux de sang ou non, des liens amicaux, la manipulation de l’opinion par les grands de ce monde, l’importance de vivre ses émotions et la puissance des plus petits, car nous ne devons pas oublier…Pépouze ! Notre super serpillière. Oui, Audrey Alwett a le super pouvoir de nous rendre adorable une serpillière !

En bref, Magic Charly est une série jeunesse que l’on devrait placer entre les mains de tous les enfants pour les thèmes importants qu’elle exploite en profondeur. Sa lecture permettra sans aucun doute de vivre dans un monde où la tolérance et le respect de tout.es.x seront des comportements naturels.

Elvira : Kee’vah des clans unifiés de Tiphs

  • Titre : Elvira : Kee’vah des clans unifiés
  • Autrice : Tiphs
  • Éditeur : Plume Blanche
  • Catégorie : fantasy

J’ai connu Tiphs en tombant sur ses sublimes illustrations sur Facebook. Son art magique, merveilleux et onirique m’a séduit immédiatement. En la suivant, j’ai vu paraître ses romans Allunia. À quelques jours du salon du livre de Wallonie, je planifiais un tour sur le stand des Éditions Plume Blanche que j’avais déjà considéré sur d’autres événements sans jamais franchir le pas de l’achat. Je ne saurais dire pourquoi j’ai attendu si longtemps de découvrir son catalogue. Sans doute y a-t-il trop de choix alléchant. Couplé à mon côté indécis, je finissai pas passer mon chemin. Bref, j’hésitais entre le premier tome d’Allunia et Elvira avant le salon à Mons, la balance penchant un peu plus vers le second. Le destin m’a poussée d’une tape amicale dans le dos, car le premier était épuisé le dimanche. Elvira : Kee’vah des clans unifiés se déroule dans le même univers qu’Allunia et peut se lire indépendamment malgré quelques éléments révélateurs de l’histoire précédente.

Elvira s’enfuit de Querb Torpaq pour échapper aux commanditaires de l’assassin qui vient de tenter de la tuer dans son sommeil. Chamboulée, la Keev’ah rejoint de justesse l’un des clans dissidents du Grand Nord. Là, le chef la place sous la protection du veilleur, Rhün, qui la déteste. Bientôt, les voix de l’entremonde l’enjoignent à rentrer, car la guide spirituelle ne peut rester loin de ceux et celles qu’elle doit préserver grâce à sa magie. Une lutte entre le devoir et les désirs tapis au fond de son cœur commence. Un combat qui ne sera pas le seul à être mené, car les griffes de ses détracteurs se referment sur elle.

Apprenant la venue de l’autrice à la Foire du Livre de Bruxelles, j’ai sorti Elvira de ma pal dans l’optique de me procurer Allunia en fonction de mon appréciation. Ayant eu un mois de mars difficile, il me restait plus de cent pages au moment de m’y rendre le vendredi. Je n’ai pas attendu la fin de ma lecture tant j’étais subjuguée par le récit et surtout l’écriture pour acheter le premier tome de la série. Dynamique, fluide et vivante, la plume de Tiphs dessine un équilibre parfait entre l’action, les descriptions et la psychologie des personnages. Dès les premières pages, elle m’a donné envie d’écrire, de réussir à insuffler autant d’émotions et de substances en peu de lignes. Les scènes se déroulaient sous mes yeux comme si j’avais été happée par les voiles colorées des aurores boréales, spectatrice de cette aventure, de cette fuite vers la liberté, vers la chance de pouvoir vivre en restant soi-même. Une quête pleine de rebondissements, de douceur, de colère, de bonheur, de tristesse, d’injustice. J’ai versé des larmes tant cette histoire m’a bouleversée.

« Une Kee’vah ne montre pas ses faiblesses, Elvira. Une Kee’vah n’a pas de faiblesses. »

La Keev’ah guide le peuple à l’aide des âmes passées dans l’entremonde. Celles-ci imposent leur suprématie sur son esprit. Choisie par elles, la Kee’vah possède souvent une différence corporelle qui l’a démarque des autres. Elvira est une albinos. Dès son plus jeune âge, sa mère, Nash, la façonne, l’éduque à endosser son rôle à la perfection. Celui d’une guide spirituelle placée au-dessus de tout.es par sa prestance et son comportement. Elvira doit cacher ses émotions, rester humble et garder une certaine distance avec les citoyens. Elle ne doit pas utiliser ses pouvoirs pour sauver les vivants, malgré la peine qui lui étreint le cœur face aux visages éplorés de parents craignant la maladie de leur enfant ou les situations désespérées. Maintenir le masque impassible d’une reine à la fois humaine et divine lui pèse énormément. Elle désire ressentir, laisser couler ses sentiments sur le devant de la scène.

Au contact des membres du clan dissident (et particulièrement de Hanne et Rhün), elle va saisir les rênes de son avenir. De ses propres choix, pas ceux de Nash ou des matriarches qui manipulent chacun de ses actes et des aspects de sa vie. Ce chemin l’amènera vers des secrets oubliés de tous. Une mémoire perdue et terrifiante.

Ce roman n’est pas seulement l’épanouissement d’une femme emprisonnée psychologiquement. Il aborde des thèmes comme les préjugés que la rencontre, les relations et l’ouverture d’esprit peuvent démolir. A mes yeux, le sujet le plus important est celui à partir duquel l’histoire découle, se (dé)construit et s’incarne en Elvira : la vision de la femme par la société. On a beau se trouver dans un univers où des matriarches dirigent le clan ayant le plus de pouvoir au nord d’Allunia, les traditions reproduisent les conceptions sur le rôle de la femme qui sont issues de notre monde patriarcal. Je tairai lesquelles pour ne pas trop en dire.  

« Nous sommes faites pour vivre comme nous l’entendons, non pour correspondre à vos attentes »

Cette particularité intervient dans le développement douloureux, puis doux entre Elvira et Rhün. Le veilleur désire tant protéger son village qu’il voit d’un mauvais œil l’arrivée de la Keev’ah. Pourtant, les événements vont les rapprocher. Ils vont découvrir le vrai visage de l’autre, leurs faiblesses et leurs forces mutuelles. Un lien se noue progressivement entre eux.

En bref, l’histoire d’ Elvira : Kee’vah des clans unifiés est un roman vibrant d’émotions, à l’image des aurores boréales illuminant les montagnes enneigées. J’ ai adoré du premier au dernier mot. Tiphs manie la plume avec autant de maîtrise que ses crayons de couleur pour peindre un récit centré sur le dépassement de soi, de son éducation, des préjugés et du passé avec des révélations et un final poignants. 

Journal intime d’un dieu omniscient d’Adrien Mangold

  •  Titre : Journal intime d’un dieu omniscient
  • Auteur : Adrien Mangold
  • Éditeur : Les éditions de l’Homme sans nom
  • Catégorie : fantasy

Quand je me suis rendue au Salon du Livre de Wallonie de Mons, j’ai eu l’excellente surprise qu’Adrien Mangold me reconnaisse. Cet homme a une mémoire de dingue sachant qu’on s’était rencontré en 2020 à Bruxelles. Ce salon draine tellement de monde, ça m’a impressionné, surtout que je suis du genre discret. Sa présence annoncée sur les réseaux de L’Homme sans nom pour la Foire du Livre de Bruxelles, j’ai sorti Journal intime d’un dieu omniscient de ma PAL.

Bienvenue sur Astria ! Le dieu éponyme endosse le rôle de guide touristique pour nous faire découvrir sa planète. Enfin, pas totalement, car c’est à travers les écrits de son bras droit, Ysmahel, que l’on explore ce monde où les créatures élémentaires évoluent.

Le début de ce roman est excellent. Le divinité y interpelle son conseiller pour retranscrire ses pensées. C’est vivant, comique, dynamique, plaisant dès la première page. On perçoit de suite la relation particulière entre ses deux êtres et une partie de leur caractère respectif.

L’univers bâti pour l’auteur, oups, Astria (sait-on jamais qu’il m’entendrait) est original. Il a réfléchi à tout, de la répartition de ses contrées à l’action du soleil, du jour et de la nuit. Les aspects de la planète (climat, rotation, reproduction) sont contrôlés avec l’œil du chef d’orchestre qui empêche la disharmonie, car la divinité craint de reproduire les erreurs de son homologue qui gérait la Terre. Une paranoïa qui enclenche des prises de décision parfois…radicales, malgré son amour pour ses enfants dont il adore suivre la vie.

C’est d’ailleurs sur l’observation de quelques âmes que la narration est basée. Des chapitres minuscules (rarement plus de 2 pages) alternés avec des explications de type encyclopédiques sur le monde ou des intermèdes entre Astria et Ysmahel. Les commentaires sur le world-building m’ont fait penser au travail des auteur.ices de fantasy, ce qui m’a fait sourire. Ces passages permettent de comprendre le fonctionnement de la planète et les relations entre les créatures élémentaires jusqu’à leur système de non-reproduction. En ce cas, l’approche d’Adrien Mangold est intéressante, car il nous propose un monde où le sexe n’est pas source de danger et d’insécurité pour la femme (je vais le dire clairement, hein !). Toutefois, il n’élimine pas la hiérarchie des sexes, il s’amuse à les inverser jusque dans leur conception et à jouer sur les valeurs qui nous sont connues.

Astria est un Reinaume dont la nouvelle couronne vient de monter sur le trône. Les clans sont régis sous le signe du matriarcat, où le foyer et l’éducation des marmots sont considérés comme nobles tandis que les hommes et le travail sont des tâches ingrates. Tout comme les Terriennes le ressentent encore aujourd’hui, les mâles d’Astria regrettent et dénoncent cette domination. Ils revendiquent le droit de participer à l’enseignement et à la paternité ! On voit le contraire également, via Exalée, une nibérienne qui veut devenir charpentière ! Elle incarne la femme qui ose exercer des métiers d’homme. Elle est considérée comme impure, car elle s’abaisse à ça !

Le journal est empli de petites thématiques qui jouent sur les combats et les problématiques de notre terre. Je vous laisse découvrir tout cela parmi les bâtisses religieuses de tissus, les montagnes qui ont la bougeotte et les sous-marins de croisière vivants. Comme dans Prototype, Adrien Mangold déploie une imagination gargantuesque. Il sculpte de décors époustouflants qui amuseraient plus d’un illustrateur ou graphiste de cinéma.

Le rythme et les choix scénaristiques en font un OLNI. On parcourt Astria tel un.e explorateur. ice avec l’impression de suivre un long fleuve tranquille connaissant quelques remous qui dissimulent des cascades vertigineuses. Dont une fin des plus…amusante, à l’image de l’introduction.

Un humour présent dans les joutes verbales entre Ysmahel et Astria. Le conseiller n’hésite pas à le reprendre, le contredire et à le confronter à ses choix, notamment quand il s’inspire un peu trop de la Terre. Il commente avec cynisme en note de bas de page, ses propos. J’ai adoré son personnage et pas seulement parce que j’aimerais avoir un scribe pareil qui écrirait mes pensées avant qu’elles ne s’échappent de mon cerveau à tout jamais.

La plume du romancier est toujours aussi incroyable. Les tournures, les expressions sont originales et fournies. Le vocabulaire inventé pour ce monde teinte le texte et nous dépayse. On a l’impression d’y être et de parler peu à peu astrian !

En bref, Journal intime d’un dieu omniscient est un livre extra-ordinaire. Adrien Mangold joue avec les codes du métier d’auteur.ice en fantasy et les problématiques sociétales actuelles pour construire un roman unique qui ne plaira clairement pas à tout le monde. Si vous tentez l’aventure, démunissez-vous des attentes liées au genre. Ce livre est un défi. Un pari réussi pour moi.     

Sous la loupiote d’avril 2023

Le dicton En avril ne te découvre pas d’un fil n’aura jamais aussi bien porté son nom qu’en 2023. Les jours rallongent et ça fait un bien fou. Cependant, les nuages se sont trop souvent invités. Le gris servant de toile de fond aux jolies fleurs roses des arbres. Heureusement que la lecture permet de nous évader et fuir cette météo. Après la neige d’Elvira que j’ai terminé début du mois, j’ai sorti de ma PAL le premier tome de Cassylyna de S.A. William dans l’optique d’une éventuelle précommande du deuxième opus. Je ne vais pas vous faire languir. C’est un livre écrit par SAW, édité par Livr’S Éditions, j’ai bien entendu craqué malgré mes nombreux achats à la FLB. Par la suite, je me suis lancée dans The 8 List de Pierre Léauté publié aux Éditions de l’homme sans nom. Je crois que c’est la première fois que je sors aussi vite un livre après son achat lors d’un salon.

Une envie soudaine de lire des nouvelles m’a saisie après cette critique sociétale et j’ai choisi Nouvelles du front de chez Livr’S éditions. Je ne suis pas une grande amatrice de récits de guerre. Ce n’est pas mon thème préféré. Cependant, certaines autrices présentes dans l’anthologie m’ont fait franchir le pas de l’acheter. L’une d’elles n’est autre qu’ A.D. Martel dont j’ai lu en service presse Je vais décoincer mon boss que mon coup de cœur de l’année passée Je vais choper mon boss Tome 1 & 2 précédent. Je peux vous dire que mon sommeil en a encore pâti !

En parallèle, des romans et de l’anthologie, j’ai ouvert un livre qui me faisait de l’œil depuis un moment : Miroir Miroir dis-moi ce que je vaux vraiment. J’ai profité d’une promo sur l’e-book pour me le procurer. Je suis Louise Aubery sur son instagram @mybetterself. Ses propos font souvent écho en moi et certaines interviews et réflexions me donnent envie de diriger mes écrits vers ses idées.  Bien entendu, le livre contient pas mal d’informations que je connais déjà ou que j’ai intégré en tant que femme en marge du moule façonné parla société patriarcale, même si les mauvaises habitudes reviennent parfois au galop. Toutefois, il reste intéressant. Je ne l’ai pas encore fini, je le recommande pour celles qui ont besoin de se déconstruire pour mieux rebondir.

Du féminisme, du fantastique, de la critique sociétale, de la guerre, de la comédie romantique. Le mois a été varié !

 Comment s’est déroulé votre mois d’avril ?

Quel genre avez-vous lu pour vous évader ?

Filles du vent de Mathilde Faure

  • Titre : Filles du vent
  • Autrice : Mathilde Faure
  • Éditeur : Charleston Édition
  • Catégorie : young adult

Jusqu’à présent, mes lectures des Éditions Charleston s’étaient soldées soit par l’indifférence soit par un échec. Filles du vent, acquis lors de l’Op All Star 2021 est le premier roman que j’apprécie vraiment. Ce n’est pas un coup de cœur à proprement parler, mais je me suis laissé transporter par l’histoire de ces adolescentes placées. Je l’ai lu dans le cadre du Pumpkin Autumn Challenge, menu Automne rayonnant, le don des Merriwick.

Lina, Assa et Céline sont trois adolescentes placées dans un foyer à Argenteuil. Elles sont toutes différentes. Pourtant, une chose les lie : l’invisibilité dans laquelle elle grandisse. Un jour, Lina embarque ces colocataires dans une fugue pour libérer leur voix, celle des filles placées que l’on ignore jusque dans les manifestations féministes. Elles vont parcourir la France en placardant leurs revendications sur les murs.

« …la violence, c’est le silence. »

Le livre passe tour à tour la plume aux trois femmes. Cette narration à multiples points de vue nous permet d’entrer dans l’intimité, l’histoire, le mal être de personnes en partie représentatives de la situation des foyers. Ces jeunes qui sont retirées du milieu familial pour diverses raisons, trop souvent sordides, et qui doivent survivre dans cette société marginalisante. Une société qui les exclut par leur statut, qui leur appose une étiquette et qui veut soi-disant de les aider. Je vais tenter de dresser le portrait des protagonistes au mieux.

Lina est le point de départ de cette fugue-mission. Elle souffre de ne pas trouver sa place dans le monde. Elle est perdue et porte un masque pour se protéger. Elle s’habille en jogging pour repousser les hommes dont elle adopte la violence langagière et comportementale. Elle ne supporte plus cette situation. Lorsqu’elle entend parler de la manifestation Nous Toutes, celle-ci résonne en elle. Son cœur vibre à cet appel. Pourtant, elle ne se sent pas représentée par cette assemblée de femmes quand elle s’y rend en douce. Où sont les adolescentes comme elle ? Celles qui ont subi la violence des hommes ? Celles qu’on a placées sous surveillance des éducateurs ? Celles qu’on accompagne avant de les lâcher dans la nature une fois la majorité atteinte ? Cette césure supplémentaire, avec des sœurs de combats, la bouleverse et fait grandir en elle le désir de trouver sa voie, sa place dans ce monde. Mais comment peut-elle y arriver alors qu’elle se sent incapable d’exprimer son ressenti ?

La musique (surtout le rap) est une source de liberté. Les paroles font écho en elle. Elle se sent pousser des ailes. Lina s’interroge de plus en plus et veut en apprendre plus sur les figures féministes, dont Gisèle Halimi dont les actes l’impressionnent et l’inspirent. Pour assouvir sa soif secrète de lecture, elle s’infiltre chez Assa.

Assa est une adolescente effacée. Studieuse et calme, elle tranche avec le profil belliqueux et rebelle des autres pensionnaires. Elle ressemble à un lac dont la surface tranquille dissimule le bouillonnement de la vie. Elle s’est fixé un but  et compte bien y arriver. Toutefois, elle rentre trop dans le moule de la société et n’ose pas exprimer ses revendications maintenant ! Elle est capable d’élaborer des exposés sur les mouvements féministes, mais elle ne montre pas la hargne et la volonté de défendre ses sœurs contrairement à ce qui l’a amenée dans ce foyer. L’obstination de Lina va lui ouvrir les yeux. L’action, c’est maintenant et pas dans un hypothétique demain ! Assa symbolise l’histoire. Ses connaissances vont aider ses compagnes d’aventure à comprendre ce qu’elles ressentent. Et celles-ci vont lui permettre de vivre au présent.

Céline est sans doute la plus paumée du groupe. Elle croit être libre alors qu’elle est manipulée par Malik qui la prostitue. Elle se laisse embarquer par Lina et Assa sans savoir au départ ce qu’elles ont en tête, et c’est ce qui va la sauver. Elle réalise l’horreur du monde dans lequel Malik l’a enchaînée. Elle comprend que son corps et sa volonté ne lui appartenaient plus. Ce voyage va lui redonner les ailes que les hommes lui avaient volées.

Leur prise de parole dans l’espace public va délier les langues d’autres adolescentes placées. Leurs actions vont montrer qu’elles peuvent être entendues, devenir visibles, être écoutées et faire partie des mouvements féministes, et ce, sans violence. J’ai particulièrement aimé l’action finale !

« Être courageux, c’est sortir du rang, résister à un ordre que l’on trouve injuste. Le courage, c’est assumer sa différence. C’est refuser d’être invisible. »

Vous l’aurez compris, ce roman regroupe de thèmes qui me sont cher et qui sont exposés avec une sensibilité crue. L’autrice évite les filtres pour parler des comportements exécrables des hommes, dont le viol sur mineur, la violence conjugale et le féminicide. Filles du vent pourrait être considéré comme un recueil sur le féminisme vu qu’il inclut des bribes de l’histoire du féminisme à travers des portraits de femmes tout en parlant des actions récentes comme le #metoo.

En bref, Filles du vent s’est révélé une lecture importante qui lève le voile sur une partie de la population féminine invisibilisée. En donnant la parole à Lina, Assa et Céline, Mahtilde Faure bouscule nos idées et nous prodigue l’élan pour changer les choses. L’action de ces trois adolescentes, sans être entièrement représentatifs des situations des ados placées, est galvanisant par sa sincérité et son authenticité.

Revival (#1) d’A.D. Martel

  • Titre : Revival (#1)
  • Autrice : A.D. Martel
  • Éditeur : Autoédition
  • Catégories : science-fiction, young adult

Revival est un service presse lu dans le cadre du partenariat avec les Plumes de l’imaginaire. Je remercie chaleureusement A.D. Martel pour sa confiance.

Arya reçoit pour son douzième anniversaire le célèbre jeu à réalité virtuelle, Revival, au grand dam de son aînée, Julie. Malgré les problèmes financiers que son achat par son inconscient de père, engendre, cette dernière n’a pas cœur à supprimer le sourire radieux de sa sœur. Pourtant, elle aurait dû agir. Lors de la présentation officielle par le concepteur du jeu, Slanders Storm, un bug empêche les déconnexions. Enlever la nanodiode de la tempe entraîne la mort du joueur. Julie est prête à tout pour ramener Arya, même à s’allier à Samuel pour entrer dans Revival

L’univers de Revival est plutôt ordinaire. Le décor met en scène une jungle regorgeant de créatures dangereuses et de villes qui permettent aux joueurs de se reposer. Deux races existent dans le jeu : les humains et les Meijbek. Peu d’informations sont données sur ces deux peuples et même sur le monde que l’on découvre au fur et à mesure de l’avancée de Julie (qui aura pour pseudo Jill). Le world-building s’apparente, ainsi, à tout jeu existant avec, en paysage, un mix entre fantasy (par la magie des Meijbek, les armures, les commerces ambulants, les caravanes, etc.) et militaire contemporain (avec des armes à feu et des pantalons treillis).

Le récit se concentre vraiment sur la recherche d’Arya et le développement de Julie en tant que personnage. Noob (débutante en langage de gameur) et pas du tout intéressée par les jeux, elle commet pas mal d’impairs qui ne vont pas lui faciliter la vie virtuelle. Commençons par décrire le personnage IRL. Julie est une adolescente de 16 ans qui vit dans les H.L.M.  Elle passe son temps à se rendre invisible dans la rue pour échapper aux harcèlements continus, en se cachant sous la capuche de son sweat gris. À l’école, elle ne fréquente personne et se concentre sur ses études pour quitter cette vie de misère. Son job lui permet à peine d’économiser pour viser l’université. Depuis le départ de sa mère, elle a pris les rênes du foyer en endossant les corvées et l’éducation de sa sœur. C’est cette responsabilité exacerbée pour une ado qui la pousse à risquer sa vie pour sauver sa sœur. Dans le jeu, elle va devoir briser ses habitudes. Elle en est même obligée, car elle fait l’erreur de revêtir la peau d’une Meijbek à fortes poitrines, ce qui attire indéniablement et malheureusement, les regards des autres.

A.D. Martel profite de cette apparence pour dénoncer les comportements outrageants des joueurs. En évoquant déjà le harcèlement de rue dans la vraie vie, elle met en évidence le sexisme des hommes vis-à-vis des joueuses qui ont, pourtant, autant d’atouts et de talents qu’eux aux manettes. Elles ne devraient pas être réduites à des prostituées ou à des rôles mineurs, ni subir les propos dégradants auxquels elles font face quotidiennement et qui pousse, trop d’entre elles, à revêtir un avatar masculin. Encore heureux, l’autrice inclut une joueuse qui excelle grâce au personnage de Nikita. Il est juste dommage qu’elle doive emprunter un comportement cruel et belliqueux pour être badass. En gros, elle écrase lesinvisibilisée hommes pour se faire respecter, ce qui est cohérent avec la réalité et les représentations de femmes fortes depuis quelques décennies. Je me demande comment elle va évoluer dans le second tome.

« —  Les travers des hommes se reflètent aussi bien dans la vie réelle que virtuelle… Et souvent, c’est encore pire dans la virtuelle… »

Revenons à Julie/Jill. Affublée d’un physique hyper sexualisé, elle est de plus de niveau 1 alors que les autres joueurs ont pu accumuler de l’expérience. Ainsi, elle va devoir suivre les conseils avisés de Samuel et trouver des alliés pour accomplir sa tâche sans mourir. Sa route croisera à plusieurs reprises, celle de Shadowhunter, un mystérieux personnage, aux préjugés sexistes, dont on peut se douter de la réelle identité. Il lui propose un pacte et l’aide à évoluer, car il est touché par sa franchise et sa cause, mais est-ce la seule raison ? On le saura peut-être dans la suite de l’histoire. Sera-t-il un allié ou un ennemi au final ? Le doute plane lorsque Julie découvre l’une de ses facettes.

Samuel est un ami d’enfance de Julie qu’elle a perdu de vue lorsque sa famille a déménagé suite au succès professionnel de son père. Il entretient l’allure rebelle de l’adolescence et une distance avec ses parents. Leur cohabitation est difficile d’autant plus, qu’il a un complexe d’infériorité vis-à-vis de son petit frère qui semble tout réussir dans la vie. Il n’est pas seulement un geek confirmé, il est talentueux dans le domaine du codage informatique et ne s’intéresse pas uniquement à Revival pour une question de divertissement si bien qu’il ne recule devant rien pour assouvir ses penchants scientifiques. Même pas à torcher les fesses de Julie. Oui, vous avez bien entendu ou plutôt lu ! C’est l’un des aspects que j’apprécie chez A.D. Martel. Elle aurait pu recourir à un subterfuge de science-fiction telle une capsule dans laquelle le corps humain obtiendrait les éléments essentiels à sa survie ou elle aurait pu taire cette partie. Non, elle ne renonce pas à inclure cette réalité dans le roman : comment maintenir en vie et en bonne santé Julie le temps de sa plongée dans le jeu alors que le monde ressemble au nôtre ? Si cette question est exclue par les concepteurs de Revival (des hommes bien évidemment), elle pense même à la gestion des menstruations. Ce caprice de la nature qui est invisibilisé dans la littérature de l’imaginaire ou à peine mentionnée, alors qu’elle fait partie intégrante des femmes.  

Cette partie sera introduite par la tornade arc-en-ciel nommée Chloé. La best friend de Julie qui débarque pour la sauver du pervers Samuel qui la retient captive ! (Enfin, c’est ce qu’elle croit en déboule sans prévenir.) Cette fille a un sacré tempérament. Elle n’hésite pas à se battre pour son amie, même avec violence. Elle est déterminée et possède un don d’actrice qui cache sans doute une réalité moins reluisante. Je l’ai adorée dès son arrivée dans le roman et j’espère en savoir plus sur elle dans le second opus.

Enfin, parlons d’Arya. Capricieuse benjamine, elle représente une thématique sombre dans le récit : celle du harcèlement scolaire. Si elle est si prompte à entrer dans les jeux vidéo, c’est pour fuir l’obscure réalité qu’elle dissimule à sa sœur dont les épaules sont déjà bien chargées depuis qu’elle gère la maison. On ressent assez vite la solitude de la gamine que Julie néglige par responsabilité.

Comme d’habitude (depuis un an), la plume de la romancière m’a transporté dès les premières lignes. Grâce à une entrée en matière efficace, elle nous plonge dans les enjeux du récit avec une facilité déconcertante. Avec une belle fluidité, elle le parsème de sujets qui lui tiennent à cœur comme l’écologie, la banalisation du viol, l’inversion bourreau/victime. L’univers du jeu vidéo aidant, mon esprit construisait une image teintée d’animation japonaise. Surtout lors de la rencontre entre Samuel et Chloé que j’ai entièrement visualisée sous des traits de manga. Probablement en raison de l’apparence colorée de la jeune femme, mais aussi par la vivacité de l’écriture.

En bref, si Revival ne réinvente pas les histoires décrivant des jeux virtuels et possède un world-building plutôt simple, le style d’A.D. Martel réussit à captiver par une construction de personnages attachants et authentiques qui se font les porte-parole des problématiques sociétales importantes tels le sexisme, le harcèlement de rue, scolaire et le sentiment d’impunité des joueurs derrière les écrans. Le premier tome de cette duologie pose les bases d’une histoire solides dont il me tarde de lire la suite.