Les brumes affamées de Dawn Kurtagich

  • Titre : Les brumes affamées
  • Autrice : Dawn Kurtagich
  • Éditeur : Les éditions du Chat noir
  • Catégorie : horreur fantastique

J’ai lu Les brumes affamées dans le cadre du PAC 2023 (Automne rayonnant. L’esprit indomptable de Jo March). Ayant apprécié The Dead House, j’ai profité des promotions aux Éditions du Chat noir pour me le procurer. Les thématiques sur la sorcellerie et le féminisme ont bien entendu joué un rôle important dans ce choix et la sélection du roman dans le PAC.

De nos jours. Zoey, obsédée depuis toujours par les ruines de Mill House qui semblent avoir un lien avec l’amnésie de son père, fugue avec son meilleur ami pour y mener l’enquête. Sur place, des événements étranges les font douter. Sont-ils seuls ? En danger ? D’autant plus que personne ne sait qu’ils sont ici…

1851. Roan emménage à Mill House pour y vivre avec son nouveau tuteur après le décès de son père. Elle y fait la rencontre d’autres orphelins. Mais quand elle comprend qu’elle est liée à un ancien secret, elle décide de s’échapper avant qu’il ne soit trop tard… Avant que les brumes ne se referment complètement autour du manoir.

1583. Hermione, jeune mariée, accompagne son époux dans les terres sauvages du nord du Pays de Galles où il a prévu de construire une maison et un moulin à eau. Mais bientôt, des rumeurs concernant des rituels démoniaques se propagent…

3 femmes, 3 époques différentes, toutes liées par un Pacte impie. Un pacte signé par un homme qui, plus de mille ans plus tard, est peut-être encore là…

Nous suivons les trois protagonistes de façon inégale. Alors qu’on aurait pu penser lire une enquête du présent sur les événements passés, c’est le fil de Roan qui a le plus d’ampleur dans le roman (qui, au passage, a fait l’objet d’un magnifique travail éditorial autour du texte et en interaction avec celui-ci). Endeuillée par la perte de son père, elle se rend à Mill House pour y rejoindre son nouveau tuteur : le Dr Maudley. Elle y rencontre sur place les autres pupilles : Emma, Seamus et Rapley. Alors que le brouillard se lève, rendant la montagne de plus en plus austère à leur fuite, d’étranges phénomènes se produisent.

Nous découvrons une femme déterminée, intelligente qui porte le poids d’un passé incohérent. Élevée dans une bonne famille, elle est fière et bien éduquée. Cependant, elle ne supporte ni le corset qui l’empêche de respirer ni la crinoline qui lui sert de cage et elle le montre à plusieurs reprises avec dignité. Si ces répliques sont délicieuses, Emma la surpasse par son franc-parler de campagnarde dont les manières n’entravent pas la langue. J’ai apprécié dès le départ l’Irlandaise pour sa simplicité et son tempérament.

Zoey est séparée de son père atteint d’Alzheimer. Elle se lance sur les traces de son dernier voyage avec la fervente conviction que Mill House détient la clé du problème. Car sa maladie n’est pas naturelle. Elle est obnubilée par sa quête. L’adolescente raconte son récit via trois médiums qui rendent ses chapitres dynamiques et à double perception. Le journal intime nous livre ses pensées brutes et la manière dont elle a vécu les épisodes du récit. La vidéo quant à elle nous permet de prendre du recul sur Poulton et les personnages qui gravitent autour de Zoey grâce à la neutralité de la narration. Lorsqu’elle est séparée de son ami, le SMS fait son entrée. J’ai été subjuguée par l’habilité de l’autrice à utiliser les messages. En quelques mots (dans les premiers chapitres consacrés à Zoey), elle marque l’attachement et construit la relation de ses deux personnages avec brio. On voit direct à quel point ils sont proches. Elle arrive également à développer une tension lors des échanges.

Enfin, Hermione apparaît ci et là à travers une page de son journal qui raconte son quotidien peu amène de jeune mariée. Une union qui l’emporte sur le sommet d’une montagne d’ardoise à cause du rêve fou de son époux.

Ces trois fils se rejoignent au cours d’une histoire plus atmosphérique que structurée. L’image de la brume est en ce point favorable à décrire cette sensation. Elle brouille la vision, une partie est visible, on bouge et hop, on voit autre chose qui ne semble pas avoir de lien avec la précédente. C’est l’impression que la succession des scènes au sein de l’acte de Roan m’a donnée. Le mystère et l’ambiance prennent le pas sur le lien entre les épisodes. Les transitions sont parfois saccadées, incertaines. On doute, on se questionne. La folie n’emporte pas que les protagonistes. Elle nous pousse à tourner les pages pour connaître le dénouement telle une fièvre démoniaque. Elle a été le moteur de mon intérêt vu que je n’ai pas été particulièrement touchée par les personnages principaux.

En bref, Les brumes affamées nous conte le récit de trois femmes issues d’époque différente malmenées par la folie, la crainte et la haine. Ce roman atmosphérique mêle des figures féminines fortes qui se débattent contre le mal et contre elle-même. Je regrette juste de ne pas m’être attachée à elles.  

The Dead House de Dawn Kurtagich

  • Titre : The Dead House
  • Autrice : Dawn Kurtagich
  • Éditeur : Éditions du Chat Noir
  • Catégorie : Horreur

Au cours de mon exploration du genre de l’horreur, j’ai sorti de ma pal, The Dead House de Dawn Kurtagich dont le résumé m’avait intrigué. Le livre en lui-même est un petit bijou éditorial. Les Éditions du Chat noir ont apporté un grand soin à l’élaboration de la version papier pour immerger le lecteur dans ce récit obscur.  

Depuis la mort de ses parents, Carly Johnson est internée à l’Hôpital psychiatrique pour mineurs de Claydon. Elle y est soignée pour un trouble de l’identité. Carly est la Fille de la Lumière. Lorsque la nuit survient, la bascule se produit et sa personnalité est remplacée par Kaitlyn, la Fille de la Fuit, la Fille de Nulle Part. L’institut leur permet de vivre une scolarité normale au Lycée Elmbridge avec lequel il a un accord. La thérapie se déroule sans trop d’accrocs, jusqu’au jour où l’irréparable se produit : Carly disparaît. Que va devenir Kaitlyn ?

Je ne possède pas une grande connaissance dans les livres d’horreur. Pourtant, j’ai l’impression que la structure de ce roman est atypique dans ce genre. Il est articulé en rapport d’enquête rassemblant les témoignages et les preuves qui permettent de reconstituer l’incident Johnson. Vingt ans après l’incendie du Lycée Elmbridge qui a couté la vie à trois adolescents, la découverte du journal de Kaitlyn Johnson dans le grenier de l’école dévoile un nouveau pan de cette tragédie. On retrace les événements qui ont précédé le drame à l’aide de ces écrits, des vidéos de son amie Naida, des enregistrements des thérapies avec la Doctoresse Lansing et les mails échangés avec Ari Hait.

Dawn Kurtagich revisite le trope de la maison hantée avec originalité. Si j’ai d’abord cru qu’elle prenait l’école comme le lieu maudit, on se rend compte que la notion se rapporte à une autre maison : celle du corps et de l’esprit. The Dead House se matérialise dans Carly/Kaitlyn qui est dominée par l’angoisse. Crainte qui apparaît sous la forme d’une demeure sombre au sommet d’une falaise escarpée. À travers ce récit, nous entrons dans l’intimité la plus profonde de l’âme humaine, dans ses abysses labyrinthiques. En introduisant la notion de magie, la romancière gomme les frontières entre la raison et l’imaginaire, entre la réalité et le cauchemar, si bien qu’un sentiment de confusion s’insinue dans l’esprit du lecteur. J’adore les récits fantastiques, j’ai envie de croire en le mala pratiqué par Naida, en l’étrangeté qui se produit dans la cave et le grenier, en cette inversion des âmes dans le corps de la fille Johnson. Pourtant, le texte me fait douter par les éléments, des indices, des propos éparpillés dans le rapport : est-ce que tout ça est réellement arrivé ? N’est-ce pas simplement le fait d’une hystérie collective ? Une alliance d’êtres fragiles et dérangés qui a mal tourné ?

La réponse ne sera jamais donnée par Dawn Kurtagich. Elle laisse cette interrogation en suspens telles les enquêtes obscures dont les conclusions restent à jamais la somme de suppositions.

J’ai été happée par la plume de l’autrice, sa manière de tricoter l’intrigue. L’histoire en soi, n’est pas foncièrement originale, mais son écriture a ce pouvoir d’emprisonner les lecteur.rices.

La construction de Kaitlyn m’a subjuguée. Fière et forte, elle incarne l’adolescente rebelle par essence, d’autant plus qu’elle est privée du jour, de la vie normale, de la possibilité de se faire des amis solaires. Cette vie nocturne devrait la rendre jalouse de Carly. Toutefois, elle en est dépendante et lui porte un respect à elle et « son corps ». Au moment de la disparition de cette sœur diurne, Kaitlyn vacille, son état mental sombre peu à peu dans la crainte, la folie. Elle pouvait survivre à la solitude avec Carly. Sans elle, la solitude l’écorche vive au point de s’ouvrir à Naida et Ari Hait.

Naida est du genre survoltée. Passionnée par le journalisme, elle se lance dans des reportages vidéo pour son cours de sociologie. Ses enregistrements sont repris dans le rapport d’enquêtes. Naida n’est pas une simple adolescente pleine d’énergie. Elle pratique aussi le Mala, magie écossaise (inventée par Dawn Kurtagich) qui est un héritage familial. Lorsque Carly disparaît, elle reconnait les signes d’un sorcier obscur et enquête pour la retrouver.

Ari Hait est le nouveau. Élève taciturne et solitaire, il se promène la nuit dans l’école et sa chapelle où il rencontre Kaitlyn d’une façon incongrue. Très vite, il se rapproche l’un de l’autre. Cette relation sort la Fille de Nulle Part de sa solitude nocturne, mais pas assez pour éviter sa descente aux enfers.

En bref, The Dead House est un roman addictif qui exploite de manière fantastique le syndrome du trouble de l’identité (TDI). J’ai adoré la structure originale sous forme de rapport d’enquête qui joue sur la multiplicité des points de vue pour aborder l’incident Johnson. La rupture mentale de Kaitlyn est menée d’une main de maître.