L’odyssée de Jason de Julien Maero

  • Titre : L’odyssée de Jason
  • Auteur : Julien Maero          
  • Éditeur : Éditions Maïa
  • Catégorie : science-fiction

J’ai accepté de chroniquer L’odyssée de Jason, lorsque son auteur me l’a proposé, sans avoir lu le résumé. Aventureux ? Pas vraiment, car la lecture de son recueil de nouvelles L’écume des âmes m’avait déjà permis de découvrir son univers et de voguer sur l’océan de ses visions de notre monde. De plus, je suis assidument sa page Facebook sur laquelle il publie des textes. Je me délecte de sa plume qui joue sur les mots à chaque fois. Si vous souhaitez vous familiariser avec son style, n’hésitez pas à y faire un tour.

L’odyssée de Jason est une livre de science-fiction. Ne vous fiez pas à sa couverture qui sent bon la jeunesse, car ce récit interpellera aussi les adultes à travers les questions qu’il aborde. Cette chronique se centrera principalement sur ces sujets. Je tiens à préciser que mes propos refléteront ce que je pense et non les idées de l’écrivain. S’ils me sont chers, je me rends bien compte qu’il n’a pas forcément voulu abonder dans mon sens. Chaque acte, parole des personnages et thème sont utilisés de manière à amener la finalité de l’histoire, à la construire de manière cohérente et indémontable. À noter que je vais faire l’impasse sur certaines problématiques pour ne pas spoiler le dénouement, mais sachez que le livre va bien au-delà de ce que je vais en dire. Je remercie Julien Maero pour la confiance qu’il m’accorde à nouveau.

Vivant à Last Chance Neighborhood, Jason mène une vie d’adolescent tout ce qu’il y a de plus normale. Il se lève chaque matin pour se rendre au lycée en compagnie de son meilleur pote, Franck, et de sa petite amie, Vanessa. Un quotidien similaire au mécanisme d’une horloge bien entretenue, qui se dérègle le jour où un SDF bouscule ses certitudes. Une fois les engrenages de la réflexion mis en route, Jason n’arrive plus à les arrêter, surtout face aux réactions des personnes qu’ils pensaient connaître depuis toujours.

La construction de l’intrigue repose sur de curieuses coïncidences qui succèdent à la rupture du quotidien de Jason. Le premier chapitre dessine un monde et un personnage principal lisses. Une perfection ennuyeuse, mais nécessaire pour la suite du récit. L’adolescent est gentil, bien élevé. Il rentre dans les rangs à la minute où on le lui ordonne. Il aime papoter en classe, par exemple. C’est son seul défaut. Néanmoins, une remarque du professeur le fait taire.

Dès le deuxième chapitre, cette perfection s’efface au profit du doute qui s’insinue dans l’esprit de Jason. Le rythme s’accélère au point d’en devenir haletant à mesure que le malaise grossit, l’impression de vivre avec un voile sur les yeux. Après les paroles du SDF, le protagoniste réagit comme tout enfant de son âge le ferait, il questionne les adultes qui l’entourent afin de trouver l’apaisement. Cependant, leur réponse renforce son trouble qui le pousse à quitter les limites de son confort. Au lieu d’oublier d’enterrer ses interrogations, il renonce à son quotidien rassurant pour découvrir la vérité.

« La plupart des gens ne veulent pas vraiment la vérité, ils veulent juste être constamment rassurés sur le fait que ce qu’ils croient est la vérité… »

Les échanges avec ses parents, ses professeurs et ses amis le confrontent à des réalités de la société. Les paroles reflètent le formatage du monde avec les formules toutes faites que l’on sort pour se conformer aux grands principes promulgués par le bien commun, l’esprit civique. Ces citoyens bien pensants qui rejettent la marginalité en la qualifiant de poison, de maladie psychiatrique, car tout le monde le sait : notre monde est parfait. Tout va bien et tout est beau dans le meilleur des mondes en d’autres mots. Alors quand une voix s’élève contre la majorité, elle ne peut venir que d’un être fou dont il faut étouffer la ferveur et pousser au ban de la société. Pourtant, cette différence est essentielle, car c’est de la différence que naît l’avenir. Elle engendre l’éveil, l’imagination, la création et l’évolution des civilisations.

À travers son récit, Julien Maero oppose ainsi l’esprit collectif et l’individualisme. Toutefois, il ne les représente pas de manière manichéenne. Si le premier est important pour vivre ensemble sans se détruire, le second reste essentiel pour contrer les visions dominantes et totalitaires où l’expression de la diversité est anéantie. C’est la marginalité qui éveille Jason de son doux rêve dissimulant la réalité. Or, il faut se confronter à la réalité pour avancer. Inversement, un individualisme trop prononcé mène à l’égoïsme, et quand celui-ci devient la norme, il engendre un déséquilibre qui peut être fatal.

Quand le doute s’insinue dans l’esprit de Jason, celui-ci se tourne d’abord vers ses professeurs. J’ai trouvé cet élément intéressant, car il pose la question de l’importance de l’éducation et la confronte à la vision que l’on voit souvent partagée sur les réseaux sociaux ou transmise lors de manifestation. Je précise, avant de continuer, qu’il s’agit surtout de mon point de vue ici. L’éducation est brandie tel un bouclier contre l’ignorance et l’effet mouton. Pour ma part, je pense que l’enseignement est en réalité une arme. Il peut, certes, ouvrir l’esprit des enfants et des adultes à la tolérance, le vivre ensemble et les aider à développer un esprit critique, mais mal employé, il peut aussi leur faire un lavage de cerveau grâce au pouvoir des mots. Ceux qu’on rabâche à l’infini, qui s’insinuent et s’ancrent dans les esprits en étouffant les questionnements. J’ai, donc, trouvé rafraichissant de donner un rôle de berger aux professeurs qui répètent les saintes paroles de la société dans L’odyssée de Jason.

Cette richesse thématique est portée par une plume fluide et originale qui recourt à des tournures singulières. Julien Maero emploie des adjectifs inhabituels qui colorent son récit à côté des dialogues empreints de nuances (notamment avec l’humour matheux de l’un des profs) et les figures de style.

En bref, L’odyssée de Jason décortique le fonctionnement de la société en brisant le reflet de perfection qu’elle nous fait miroiter. L’auteur bouscule les esprits en jouant à l’équilibriste marchant sur la corde tendue entre l’esprit collectif et l’individualisme pour construire une réflexion sur le monde, notre monde, avec un dénouement interpellant.