- Titre : Notre-Dame des Loups
- Auteur : Adrien Tomas
- Éditeur : Mnémos
- Catégorie : fantastique
Je me suis procuré Notre-Dame des Loups d’Adrien Tomas lors de l’Op All Stars 2022. Cet événement, qui vend à 1,99 € une sélection d’ebooks au début de l’été, est idéal pour se laisser tenter par des titres qui se trouvent hors de sa zone de confort ou pour lesquels une hésitation persiste. C’est du moins avec cet état d’esprit que je parcours les menus depuis deux ans. Ce qui m’a attiré dans ce court roman est la plongée dans l’Amérique du XIXe siècle et un western un peu particulier vu qu’il se déroule dans le Nord et ses forêts obscures.
1868, la troupe de veneurs de Jack arpente la Forêt Blanche pour dénicher la reine des Wendigos et la tuer pour mettre un terme à son règne sur la nuit. La situation prend une tournure déroutante lorsque l’un d’entre eux se fait assassiner pendant son sommeil. Là, où aucun lycanthrope ne devrait se trouver.
La structure du roman se décline en multiples narrateurs. Un chapitre est dévolu à chaque veneur qui se relaye pour raconter le déroulement de la chasse. Ainsi, nous observons l’âme des personnages tour à tour et nous voyons à travers leurs yeux, leurs camarades, ce qu’ils en pensent, leurs comportements avant de glisser dans leurs chaussures du suivant. Ce procédé est intéressant, car le lecteur construit une première vision des personnages qui est influencée par la subjectivité du narrateur. Ensuite, cette image est nuancée, déconstruite, remaniée par de nouvelles caractéristiques qui les complexifient. C’est un peu comme si on se forgeait des idées préconçues qui s’écroulaient grâce à la discussion (ou plutôt ici au monologue et à l’écoute).
Jack est le chef du groupe. Il endosse le rôle du dur à cuir, désagréable et intransigeant sur la discipline. Il ne supporte pas ceux qui veulent passer outre son autorité. D’ailleurs, il préfère les petites bandes, car elles sont plus gérables. Pourtant, Jack sait jauger et reconnaître les qualités des gens, surtout celles utiles à la chasse et à la survie contre les wendigos. Il observe ses compagnons de route et en prend soin, même si ses conseils sont plus donnés sur le ton de l’ordre. Il est obnubilé par la destruction de la reine des Rejs.
Il est secondé par Würm. Originaire d’Allemagne, il s’agit du véritable leader du groupe. Sa première expérience sur le sol américain s’est révélée catastrophique, celle-ci ayant donné lieu à un massacre sans nom. Il prodigue ses opinions et sa sagesse à Jack sans que les autres le sachent. Son allure de dandy du siècle passé et son mutisme, lui confère une aura mystérieuse qui révélera bien des secrets au fil de l’histoire.
Arlington ouvre le bal des narrateurs. Ancien journaliste, ce type est arrogant, imbu de lui-même et possède une confiance en soi démesurée qui l’aveugle. Il déteste les autres membres du groupe et ne souhaite que le quitter, mais il s’agit surtout d’une âme meurtrie par la perte de son travail de rêve. Il n’a jamais voulu devenir veneur, le destin s’est abattu sur lui sans merci.
Jonas est l’artilleur de la bande. Sa fonction consiste à refondre les balles d’argent, car cette matière n’est pas inépuisable. Il est superstitieux, sexiste et raciste. Toutefois, c’est un fin observateur et il endosse, d’une certaine manière, le rôle de tuteur pour Billy.
Billy est le plus jeune de la troupe (une vingtaine d’années). Beau gosse, cerveau lent, il lui faut du temps pour comprendre certaines situations. Du coup, il se fait souvent rabrouer par Jonas qui lui explique ce qu’il risque avec son attitude. Son manque de perspicacité ne l’empêche pas d’être animé par la passion. Son innocence lui confère un côté tendre derrière l’image de l’ancien cowboy qui joue les durs et les jolis cœurs. Il possède des qualités qu’il dissimule par crainte des autres.
Le personnage qui m’a le plus déçu est sans aucun doute Evangeline. La dresseuse de chiens originaire des bayous avait de quoi plaire avec sa prestance, son calme et la force qui émanait d’elle. Toutefois, elle se révèle être un personnage plutôt stéréotypé. Sa couleur de peau ne semble être qu’un prétexte pour dépeindre le racisme de l’époque malgré la libération des esclaves. Quant à sa magie, elle est sous-exploitée et ne sert qu’au revirement de l’histoire. Sans divulgâcher, je vais seulement dire que je n’apprécie pas ce que cache son masque et qui se trouve à l’opposé du potentiel du personnage. Cet élément n’a rien d’incohérent, je tiens à le préciser. C’est juste son côté « évident », « courant » qui me fait grimacer. J’en attendais bien plus.
Enfin, je termine par la narratrice qui m’a le plus plu : Waukahee. Celle-ci arrive dans la bande en cours de route. Contrairement à Evangeline, j’ai trouvé qu’elle sortait des sentiers battus. Elle n’est pas dépeinte comme une sauvage d’Indienne ou docile. Elle a de la classe en fait ! Badass avec son arc à flèche, elle reste humble sans pour autant se laisser marcher sur les pieds par les racistes ou les hommes. Elle a une de ses réparties tout en finesse qui finit par convaincre les veneurs. Surtout qu’elle n’utilise aucune vulgarité, comme ce type d’histoire a tendance à employer abondamment.
L’univers s’avère assez simple. Le récit se base sur la légende amérindienne des Wendigos, ces hommes devenus des bêtes, les pendants des loups-garous européens en somme. L’auteur décide de les nommer les Rejs. Toutefois, rien ne suggère une différence avec les caractéristiques habituelles des lycanthropes. D’où mon interrogation sur ce changement d’appellation. Adrien Tomas relie l’apparition des créatures en Amérique à l’Europe et le fameux navire : le Mayflower. Néanmoins, la longueur du texte ne permet pas d’approfondir ce world-building qui reste un décor.
Est-ce un mal ? Non. Notre-Dame des Loups raconte plutôt l’histoire des veneurs, leurs relations, leurs mésententes et les causes désastreuses, que la chasse aux Rejs qui passe au second plan durant la majeure partie du roman pour seulement ressurgir à la fin. La fameuse reine n’est pas la meilleure des antagonistes, car elle n’est ni nuancée, ni profonde. Elle ne fait qu’utiliser les pions à sa disposition pour semer la discorde, on n’en voit que la griffe, mais pas le cœur. On sait juste qu’elle est fine stratège.
Le point fort de la plume d’Adrien Tomas réside dans sa manière de décrire les personnages. Il choisit soigneusement ses mots pour dresser leur portrait. C’est vivant, visuel et ça entre en résonance avec l’ambiance sombre, crue et froide des lieux.
En bref, Notre-Dame des Loups fut une lecture attrayante pour la technique narrative employée. Elle conte, avant tout, une histoire de vengeance, de gens désabusés, éreintés par une chasse sans fin. Si le world-building n’apporte aucune nouveauté dans la sphère des lycanthropes, l’aspect humain, lui, est intéressant.