Mortal Song de Megan Crewe

  • Titre : Mortal Song
  • Autrice : Megan Crewe
  • Éditeur : Éditions du chat noir
  • Catégorie : fantastique

Une couverture aux couleurs douces. Le rose des fleurs de cerisiers entourant une montagne représentant le mont Fuji. Une illustration qui n’a pu que m’attirer l’œil lors de la Foire du Livre de Bruxelles en 2020.

À l’aube de son dix-septième anniversaire, le monde de Sora bascule. Une armée de fantômes à la solde du démon Omori envahit le mont Fuji sur lequel elle habite depuis sa plus tendre enfance. À l’aide de son protecteur Takeo, elle s’enfuit vers la vallée de Rin la Sage afin de délivrer la montagne et ses parents. L’adolescente apprend que sa vie entière est un mensonge. Elle n’est qu’une simple humaine échangée avec la vraie princesse. Sora et Takeo partent à sa recherche pour accomplir la prophétie.

L’histoire nous plonge dans l’univers des divinités japonaises nommées Kami, situé dans un temps contemporain du nôtre. L’autrice élabore des règles autour de leurs pouvoirs conférés par le ki. Une source d’énergie puissante qui peut toutefois se tarir sous les coups des armes blanches et à feux. Ainsi, aucun dieu n’est immortel ou imbattable. Ils s’avèrent juste plus résistants que les humains et possèdent des ressources pour contrer les fantômes et les démons.

Confrontée à la réalité, Sora va devoir apprendre à vivre avec ses faiblesses de mortelle, car elle absorbait le ki du mont Fuji, qu’elle quittait rarement, et de son amie Midori, une libellule. Il s’agit du cœur de ce récit : accepter ce que l’on est, connaître ses propres limites et, surtout, transformer ses défauts en force. La vérité sur la condition de sa naissance fut un choc pour l’adolescente au point qu’elle la nie jusqu’à sa rencontre avec Chiyo, la princesse de la montagne, dont l’énergie brille tellement qu’elle attire naturellement les gens autour d’elle. Sora se bat avec ses nouveaux sentiments. La peine ressentie par l’abandon de ses parents biologiques ainsi que la peur du rejet de ceux qu’on aime et de l’avenir.

Au cours de leurs péripéties, elle se connecte à son corps, apprivoise son cœur volatile et découvre un nouveau pouvoir : celui des émotions. Les divinités ne ressentent pas autant que les humains. Ils se définissent par un sentiment général auquel ils sont réduits. Ainsi, Takeo est loyal tandis que Chiyo possède une positivité inébranlable. Ils dévient rarement de leur caractéristique et cet aspect me les a rendus inintéressants. Je n’ai accroché ni à l’un ni à l’autre en raison de cette immuabilité. En plus, ils sont traités comme des personnages tertiaires. On n’apprend rien d’eux. Cependant, ce choix reste cohérent vu que l’héroïne reste Sora qui est également la narratrice interne du roman, et le récit se base sur les sentiments humains.

L’amour, l’émotion la plus forte parmi les mortels, se retrouve d’ailleurs au cœur de l’histoire et en devient même un pouvoir plus puissant que le ki. Un moteur de haine, comme de lucidité et de courage. En cela, Megan Crewe a réussi à élaborer un roman solide et bien ficelé sur les raisons de l’action des fantômes et les conséquences de leurs actes.

Parmi les nombreux personnages, j’ai beaucoup aimé Keiji. Cet adolescent marginal qui adore le surnaturel et se jette dans l’aventure, excité de découvrir enfin ce qu’il étudie depuis longtemps. Dès les premières interactions avec Sora et les autres, il se révèle complexe et nuancé. Un vrai humain en somme ! Haru, le petit ami de Chiyo, m’a également plus dans la seconde partie du texte par son ouverture d’esprit. Ultra-protecteur et guerrier dans l’âme (il est au club de kendo), il représentait le mâle prêt à en découdre dès qu’on s’approche un peu trop de sa dulcinée, comme si elle ne savait pas se défendre toute seule. Quand elle se révèle bien plus forte, son amour ne fluctue pas et ses paroles montrent une maturité rassurante qui fait plaisir à voir pour ce type de protagoniste masculin que l’on pense au départ dominateur. 

Le roman est porté par une plume simple. Fluide et rythmée dans les scènes de combat, elle ne m’a pourtant pas immergée à chaque fois dans le récit en dépit de la narration à la première personne du singulier. Je me suis demandé si seule l’écriture en était la raison, car Sora devient en partie, spectatrice du sauvetage du mont Fuji. Par moment, elle prend du recul quand elle ne sent plus à sa place, comme si elle enfilait le costume du personnage secondaire, avant de se ressaisir en s’impliquant. C’est peut-être cela qui m’a fait décrocher à certains instants, mais je pense que la manière de développer le récit, de voguer entre action et introspection, et la nature des kami, plus des faiblesses de vocabulaire, ont également joué. 

En bref, Mortal Song est une histoire sympathique mettant en scène une héroïne qui se relève d’une crise identitaire en se confrontant à ses émotions pour en faire une force. Il nous plonge dans le folklore nippon entre tradition et modernité. Si cette lecture ne m’a pas emballée, notamment au niveau des personnages divins et de la plume, j’ai tout de même apprécié l’orchestration et l’arrangement des thèmes : le dépassement de soi, trouver sa propre voie et le pouvoir de l’amour en tant que source de bien et de mal. 

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Le jour de ton arrivée d’Isabel Komorebi

  • Titre : Le jour de ton arrivée
  • Autrice : Isabel Komorebi
  • Éditeur : auto-édition
  • Catégories : romance, science-fiction

Le jour de ton arrivée est le second livre tiré de la box L’amour sous toutes ses formes d’Escape with a Book, que j’ai lu. Avec son résumé, il promettait une histoire de reconstruction de soi grâce à l’amour entre deux personnes opposées. Un garçon taciturne et une fille haute en couleur.

Dix-neuf ans plus tôt, Eux sont arrivés. Ces êtres venus d’ailleurs ont rencontré les humains qui les ont rejetés. Malgré cela, ils restent au-dessus de la Terre, dans leurs pentacles, pour les accompagner vers leur destinée. Enfant, Logan gardait les yeux levés au ciel à les observer jusqu’au jour ou son monde à basculer. Un jour, Tammy le bouscule dans les couloirs de son université. Et, sa vie goûte de nouveau la saveur du bonheur.

Le début de ce roman court (à peu près 200 pages) est captivant. Il plante le décor étrange et mystérieux de cette époque que j’ai eu dû mal à situer tant les indices sont donnés au compte-goutte. D’abord, j’ai cru qu’il s’agissait d’un futur plus ou moins proche dans lequel la terre aurait subi un changement climatique avec l’arrivée d’une nouvelle ère glaciaire. Les températures restent froides tout au long de l’année avec une pointe de gel mortifère aux heures obscures de la nuit. Cependant, on apprend que c’est le cas sur l’ensemble de la planète. Au vu des modifications de biotopes, j’ai alors supposé qu’il s’agissait d’une ère plus lointaine.  Les éléments de décors s’avèrent peu présents et aucune innovation technologique ne pointe le bout de son nez, au contraire, tous portent à croire que cette société est similaire à la nôtre, comme si ça faisait longtemps qu’elle avait cessé d’évoluer. Ainsi, on vogue entre le présent et l’avenir. Bref, c’est assez déroutant.

Toutefois, ce contexte, même flou, permet de comprendre la léthargie et la routine dans laquelle les humains vivent. Un quotidien rassurant dans lequel on vit à court terme. L’éphéméride rythme les cœurs et les histoires sans lendemain, ce qui agace Logan qui ne veut pas faire semblant que tout va bien.

Ce garçon cassé est pessimiste, voire fataliste, et mélancolique. Il étudie sérieusement sans pour autant avoir de rêves. Matt est sa bouée qui le maintient au-dessus de l’eau. Ce sportif possède des caractéristiques qui au départ ont l’air clichées : beau, extrêmement grand, musclé et coureur de jupons. Toutefois, sa gentillesse et son empathie transparaissent vite au fur et à mesure des échanges entre les amis.

Tammy provient du ciel. Logan le voit directement dans ses yeux. C’est le coup de foudre au premier regard. Au cours d’une nuit, d’un rendez-vous, ils vont se découvrir, l’humain s’ouvrit et reprendre le gouvernail de sa vie auprès de celle qu’il aime. D’elle, on connait peu de choses. Les chapitres qui lui sont dédiés, permettent de savoir que leur rencontre n’est pas un hasard, car on lui a confié une mission et qu’elle a quelque chose d’important à lui transmettre. À travers son regard, on voit l’humanité autrement, comme un observateur extérieur étonné et intrigué par les comportements volatiles de cette espèce que l’on compare à ceux de la sienne. Le flou autour de Tammy m’a empêchée de l’apprécier, surtout qu’à la lecture du résumé, je m’attendais à un personnage rayonnant qui m’aurait étreint le cœur par sa personnalité et ses réparties.

Le thème central de ce roman (à côté de l’importance de la communication, du deuil et de l’écologie) est la reconstruction d’une âme qui a perdu son étincelle de vie. Le choix du coup de foudre comme électrochoc m’a dérangée, car il élimine la transition entre les deux états de Logan. D’un regard, il quitte sa peau d’homme taciturne pour revêtir celle débordante de vie et d’amour. Il parle de son passé sans difficultés ni réticences à cette inconnue, seule une légère peur de rejet lui serre le cœur lorsqu’il attend avec impatience le rendez-vous. J’aurai préféré un développement en douceur, car personne n’évolue en un claquement de doigts dans la vie. Surtout si le monde se trouve à la limite de son effondrement et que la dépression nous suit depuis des années. 

En dépit de cette irréalité et le manque de vraisemblance dans les personnages, je tiens à préciser que j’ai apprécié ma lecture. La plume de l’autrice est agréable, quoiqu’un peu répétitive. Durant la moitié de l’histoire, on ne connait pas les prénoms des amoureux. Malgré la narration à la première personne du singulier, cela aurait pu conférer un caractère impersonnel, mais sa maîtrise du « je » et la couleur qu’elle insuffle à son écriture a empêché ce sentiment de naître.

Néanmoins, une belle plume ne suffit pas. Les vingt dernières pages tirent en longueur pour amener LA révélation qui n’en était pas réellement une. Je n’ai ressenti aucun vertige, malgré l’insistance de l’autrice à ce propos. Le risque que Logan fasse demi-tour en y étant confronté, était élevé. Le problème pour moi ne vient pas de la faiblesse de la révélation, mais de la manière d’interrompre sans cesse la progression de l’histoire par des baisers incessants et des épisodes qui ne font que répéter des informations dévoilées plus tôt et qui coupent le moment véridique. La technique a tourné à l’effet gadget plutôt que page turner.

En bref, Le jour de ton arrivée est une ode au sentiment de l’amour et aux sensations. Le roman relate la rencontre de deux êtres étrangers qui va ranimer le cœur de Logan. Si la manière de reconstruire ce personnage et le manque de consistance des extra-terrestres apportent une faiblesse à l’histoire, la plume de l’autrice a réussi à m’immerger dans la relation de ce couple durant la majeure partie du roman.

Le Der des ders de ses amis de Brian B. Merrant

  • Titre : Le Der des ders de ses amis
  • Auteur : Brian B. Merrant
  • Éditeur : auto-édition
  • Catégories : nouvelle, historique, drame

Le Der des ders de ses amis est une nouvelle que j’ai reçue dans la box L’amour sous toutes ses formes d’Escape with a book. La romance ne faisant pas partie de mes genres de prédilection, j’aurais pu passer mon chemin quand cette box est sortie. Toutefois, la description promettait autre chose que de l’amour entre deux personnes, elle incluait aussi l’amitié. Je ne regrette pas du tout de l’avoir achetée, car la lecture de cette nouvelle épistolaire m’a bouleversée. J’espère qu’à travers cette chronique, j’arriverai à vous transmettre la beauté et la puissance de ce texte.

Joseph est orphelin. Quand la guerre éclate, il est envoyé au front pour aider la France à repousser l’ennemi. Solitaire, il laisse derrière lui son chat Louis, avec lequel il correspondra par l’intermédiaire de l’intendante, Mademoiselle Delancey.

Cette courte histoire dépeint à travers les échanges entre ses deux amis, l’horreur et l’incompréhension de la Première Guerre mondiale en la confrontant au doux quotidien d’un félin qui attend plein d’espoir le retour de l’être le plus important pour lui. Des messages de tolérance et de paix traversent leur histoire en filigrane à côté la peur de mourir et l’angoisse de ne pas recevoir la lettre suivante. Louis dénonce par sa sagesse animale la stupidité des hommes et réconforte l’âme blessée de Joseph qui voit disparaître les orphelins qui l’accompagnaient depuis le début.

« Ce conflit est dirigé par des enfants qui jouent à la guerre et envoient des enfants devenus adultes bien trop vite périr à leur place. C’est le pays qui implore que ses fils le défendent, avant de pleurer leur sacrifice. »

On comprend au fil des pages où l’histoire va aboutir en partie, mais même en le sachant, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps en lisant le destin de Joseph et Louis. Ce lien fort qui les unissait, un amour entre humain et chat alors que les hommes s’entredéchiraient pendant quatre ans pour des idioties de territoire, passant à côté du principal : vivre en paix et ensemble. Vous allez dire que j’exagère et c’est vrai que j’écris rarement du sentimentalisme exacerbé dans mes chroniques. Pourtant, me croirez-vous si je vous avoue qu’en rédigeant cet article des mois après ma lecture (au printemps), les larmes dévalent mes joues et m’empêchent de discerner l’écran ? C’est dire si ce texte m’a touchée. Je ne sais pas si la présence du chat parmi les personnages joue un rôle important sur mon état émotionnel. Sans doute, vu mon amour pour ses petites bêtes qui m’accompagnent depuis ma naissance et dont mon cœur se pince à la mémoire de ceux qui sont partis. Cependant, je crois également que la plume de Brian B. Merrant et la vision de cette période qu’il met en scène sans filtre sur les pensées et les réflexions de Joseph, de Mademoiselle Delancey et de Louis, y sont pour quelque chose.

En bref, si j’ai choisi de lire Le Der des ders de ses amis en raison de la présence du chat, je ne m’attendais pas à lire un texte aussi puissant et émotionnel qui ébranlerait mon cœur à ce point. C’est une lecture qui devrait figurer dans les écoles, non seulement pour découvrir les affres et les horreurs de la guerre, mais également pour apprendre plus facilement la tolérance, la profondeur de l’amitié et l’importance de la paix.

Le Cercle de Dave Eggers

  • Titre : Le cercle
  • Auteur : Dave Eggers
  • Éditeur : folio
  • Catégorie : science-fiction

Le Cercle de Dave Eggers est un roman d’anticipation publié en 2013 qui questionne l’impact des réseaux sociaux sur la vie et les idéaux ainsi que son intrusion dans le quotidien jusqu’au cœur de la sphère intime.

Mae Holland jubile, car elle quitte enfin son boulot ennuyeux à mourir grâce à sa meilleure amie, Annie, pour travailler dans l’entreprise la plus prisée du moment : Le Cercle. Cette société axée à ses débuts sur la communication digitale, est devenue au fil des ans, un vivier de talent, si bien qu’elle touche à une pléthore de domaine allant de la médecine à la protection des enfants contre les pédophiles. Mae travaille en bas de l’échelle à l’Experience Client, où elle répond aux questions des clients qui lui donnent une note en échange de la qualité de son job. Très vite, le Cercle se referme sur elle après une infraction qu’elle a commise aux yeux de tous à travers le programme SeeChange repose sur des caméras indétectables disséminées partout. Le mélange de culpabilité et l’euphorie du changement entrainent de plus en plus la jeune femme vers la gueule du piège à loups malgré les avertissements de son ex petit-ami, Mercer et de son fondateur, Ty.

La technologie au service du paternalisme 2.0

Le Cercle reprend à son compte le paternalisme du XIXe siècle en le mettant à la sauce du XXIe siècle. Selon ses propres mots, l’entreprise place « l’humain avant l’employé ». Le bien-être et le développement personnel priment afin de favoriser l’émergence et la concrétisation de projets pour améliorer la civilisation humaine. Les patrons déploient ainsi des infrastructures et des services pour le « bien » des travailleurs. Donc, ceux-ci peuvent se détendre entre deux dossiers, au cinéma, au golf au restaurant ou aux nombreuses soirées organisées au sein même du campus de la société. Envoutant quand on reste derrière son PC huit heures par jour, n’est-ce pas ? Cependant, cette liberté, ce confort n’est qu’illusoire, car tout est contrôlé et surveillé, même la santé via la montre connectée qui analyse l’état physiologique du corps. Pire, cela ne se fait pas à l’insu des employés qui contribuent, soi-disant volontairement, à cette transparence à travers leurs actions sur Zing, similaire à FB, twitter et compagnie.

Au départ, Mae n’était pas une dingue des réseaux sociaux. Elle a bien des comptes TruYou (cette application permet de se connecter à l’ensemble de ses comptes, peu importe la plateforme, en échange de son âme…euh pardon de sa véritable identité) et Zing, mais elle les utilise peu. Elle possède encore sa liberté de l’employer ou non, ce qui déplait fortement au Cercle, qui finit par envoyer ses collègues lui poser des questions avec « bienveillance ». Cette gentillesse dont tous dégoulinent ! Ce masque d’inquiétude m’a terriblement mise mal à l’aise dès le départ, comme si, je me retrouvais devant des robots programmés pour prendre soin de Mae, sans la chaleur humaine malgré leur sourire. Créant un sentiment de culpabilité vis-à-vis de son professionnalisme, Mae change sa façon de communiquer et partage sa vie sur les réseaux sociaux.

La valorisation par le like

On le sait trop bien de nos jours, le bonheur individuel se quantifie au nombre de notifications reçues par minutes sur ses publications. Un sentiment, pourtant, éphémère, tel l’instant de plaisir procuré par la libération de l’hormone de joie par une bouchée de chocolat. Pour préserver les effets, Mae doit persévérer dans ses posts et, surtout, grimper dans le classement à la manière du score global qu’elle reçoit lors de sa tâche à l’Experience Client. Elle se prend au jeu et s’enfonce dans la logique du like = réussite et bien-être telle une drogue dont elle ne peut plus se passer et dont elle n’intègre pas les effets néfastes malgré les arguments de Mercer.

L’individu avant l’employé, mais la collectivité avant tout !

Sous ses beaux discours de santé et de valorisation du salarié, le Cercle manipule les mots pour pénétrer dans l’intimité des personnes et les contrôler en recourant à l’amour des autres et la sensibilité. Partager, c’est donner aux autres l’accès à un savoir dont leur réalité les prive. La connaissance brise les tabous et fait évoluer la civilisation humaine. Ouvrir son monde, c’est tendre la main vers l’autre pour améliorer la vie de tous. Voilà en gros les propos servis sur un plateau d’argent qui brille tellement fort qu’il dissimile la véritable nourriture que l’on nous sert. Ainsi, Mae croit agir pour le bien de tous, en se dévoilant au monde, ce qui amène le principe suivant :

La Transparence au service des idéaux

Qui n’a jamais rêvé d’habiter aux pays des Bisounours où tout est beau, tout le monde est gentil et les secrets infâmes n’existent pas ?  C’est en ce monde parfait que Mae croit en acceptant de devenir une caméra vivante et de montrer l’intégralité de sa vie H24 dans l’espoir de persuader les autres de la suivre, notamment les politiques à cesser leurs malversations. La jeune femme exulte. Ses actes aident tellement de gens partout sur Terre. La preuve, les nombreux like et commentaire positif ! On le dit assez souvent, se donner aux autres procure du bien-être. La Transparence est essentielle pour vivre en harmonie. Ou pas, comme elle va l’apprendre à ses dépens ou plutôt à celui de ses proches.

Comme vous l’aurez compris, Le Cercle de Dave Eggers décrit de nombreuses problématiques liées au développement des réseaux sociaux et à leur toxicité : le bonheur factice, la course à la gloire sous couvert de bien-être, l’attrait de la technologie pour atteindre une société pure et parfaite, etc. Il dénonce les défauts de ses simulacres de vie sociale qui gomme la limite entre le public et le privé.

Si ce roman était apparu au début des années 2000s, il m’aurait peut-être remuée. Toutefois, sa publication tardive (2013) me donne une impression de réchauffé. De plus, j’ai trouvé Mae un peu trop malléable que ce soit d’un côté comme de l’autre. Il est aussi étonnant qu’aucun employé ne fasse d’éclat alors qu’ils dorment peu et doivent être autant actifs sur les réseaux sociaux qu’au boulot. Que seule Annie subisse un burn-out est plutôt incohérent quand on sait qu’il s’agit d’une des maladies les plus répandues de nos jours et qu’elle arrive principalement aux personnes qui se donnent à fond dans leur travail. L’absence de dissensions parmi les employés relève de l’utopie.  

Le Cercle reste un premier tome (bien qu’il ne soit pas marketé comme tel en Francophonie) et je me doute que l’explosion/ou implosion de ce masque de perfection arrivera sans doute dans le second opus. Mais pour ma part, des prémisses de cette destruction devraient déjà s’y trouver, et pas seulement sur deux ou trois protagonistes.

En bref, Le Cercle se place dans le tiroir des livres à découvrir pour les thèmes. Personnellement, je le catégorise dans les lectures en demi-teinte. Si les sujets abordés sont intéressants, j’ai trouvé le démarrage long et trop descriptif. L’auteur recourt trop à des situations idéalistes pour faire passer ses messages, ce qui apporte des incohérences et brise l’immersion dans la réalité. D’autres romans font un bien meilleur travail sur la manipulation de masse et de la communication, comme 1984 de George Orwell.